JAMA Oncology

Faut-il dépister les fumeurs ou anciens fumeurs pour lesquels le dépistage n’est pas recommandé actuellement ?

Mode d'évaluation :
1 point : les articles apportant des connaissances réellement nouvelles par rapport à la littérature;

2 points : les études contribuant, notamment pour les essais thérapeutiques, à l'apport d'un niveau de preuve A (méta-analyse ou essais randomisés de phase III portant sur un grand nombre de malades) ou B (essais randomisés à effectifs réduits (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2);

3 points : les études susceptibles de modifier les pratiques.
janvier 2023

Épidémiologie, Dépistage

Les dernières recommandations de l’ US Preventive Services Task Force sont de réaliser un scanner de dépistage annuel  chez les  adultes de 50 à 80 ans qui, fumeurs actifs ou anciens fumeurs  ayant interrompu leur tabagisme depuis moins de 15 ans, et ayant fumé au moins 20 PA. Mais quel est le risque de cancer broncho-pulmonaire chez les fumeurs qui n’ont pas ces critères ? 

Pour répondre à cette question les auteurs de ce travail ont utilisé les données d’une étude de cohorte sur la santé cardiovasculaire obtenues du National Heart, Lung and Blood Institute. Dans cette cohorte ont été incluses les données de 5888 personnes vivant aux Etats Unis de 65 ans ou plus collectées de juin 1989 à juin 1993. Cette analyse a été limitée à 4279 personnes sans cancer pour lesquelles on disposait des données suffisantes sur le tabagisme. L'objectif principal était de définir les cancers incidents observés dans cette cohorte, elle-même composée de plusieurs groupes : 

  • 1973 non-fumeurs (âge médian 73 ans, 71% de femmes).
  • 861 fumeurs ou anciens fumeurs dont le tabagisme cumulé était < 20 PA dont :
    • 761 anciens fumeurs :
      • 615 ayant arrêtés depuis 15 ans ou plus dont la durée médiane de cessation était de 33 ans et le tabagisme cumulé moyen était de 8,4 PA,  (âge médian 72 ans, 46% de femmes).,
      • Et 146 depuis moins de 15 ans dont la durée médiane de cessation était de 8 ans et le tabagisme cumulé moyen était de 10,1 PA, (âge médian 71 ans, 71% de femmes).
    • Et 100 fumeurs actifs (âge médian 71 ans, 71% de femmes) dont le tabagisme cumulé moyen était de 10,8 PA .
  • Et 1445 fumeurs ou anciens fumeurs d’au moins 20 PA :
    • 1013 anciens fumeurs
      • 516 ayant arrêté depuis 15 ans ou plus dont la durée médiane de cessation était de 23 ans et le tabagisme cumulé moyen était de 41,2 PA  (âge médian 73 ans, 25% de femmes).
      • Et 497 ayant arrêté depuis moins 15 ans dont la durée médiane de cessation était de 7 ans et le tabagisme cumulé moyen était de 56 PA (âge médian 71 ans, 42% de femmes).
    • Et 432 fumeurs (âge médian 70 ans, 57% de femmes) dont le tabagisme cumulé moyen était de 50,8 PA.

Avec une durée médiane de suivi de 13,3 ans, les nombres et pourcentages de cancers broncho-pulmonaires incidents et les HR ajustés de cancer broncho-pulmonaire dans ces différentes catégories de personnes se situant dans les recommandations (en caractères gras) ou non sont résumés sur le tableau ci-dessous : 

 

PA

Arrêt (ans)

N

N (%) cancers broncho-pulmonaires incidents

HR ajustés de cancer broncho-pulmonaire (âge, sexe et origine)

Non-fumeurs

-

 

1973

10 (0,5)

1

Anciens fumeurs 

<20

≥15

615

10 (1,6)

3,05

Anciens fumeurs

<20

<15

146

2 (1,4)

2,66

Fumeurs

<20

-

100

5 (5)

10,06

Anciens fumeurs 

≥20

≥15

516

26 (5)

10,22

Anciens fumeurs

≥20

<15

497

50 (10,1

22,59

Fumeurs

≥20

-

432

70 (16,2)

39,95

On voit sur ce tableau que les recommandations qui sont faites pour dépister les personnes à très haut risques sont parfaitement adaptées à la réalité : c’est bien chez les fumeurs actifs et anciens fumeurs ayant interrompu leur tabagisme depuis moins de 15 ans que le risque de cancer broncho-pulmonaire est de loin le plus élevé. On voit aussi que les fumeurs de moins de 20 PA et les anciens fumeurs d’au moins 20 PA qui ont arrêté depuis plus de 15 ans ont un risque nettement plus élevé que les non-fumeurs mais que ce risque est tout de même 2 fois moins élevé que chez ceux chez lesquels le dépistage est recommandé. 

Il nous semble que ce travail ne nous permet pas de modifier nos pratiques. Pour les modifier il faudrait pouvoir disposer soit d’études prospectives menées spécifiquement chez ces populations, soit au moins d’études de modélisation permettant de préciser des données telles que le nombre de cancers évités et le nombre d’années de vie gagnées dans ces populations et surtout le nombre de dépistages a réaliser pour éviter un décès par cancer. A une époque où le dépistage tarde à se mettre en place dans beaucoup de pays chez les personnes qui sont à risque très élevé, cibler les personnes à risque moindre nous parait loin d’être une priorité. 

 

Reference

Assessment of Lung Cancer Risk Among Smokers for Whom Annual Screening Is Not Recommended. 

Faselis C, Nations JA, Morgan CJ, Antevil J, Roseman JM, Zhang S, Fonarow GC, Sheriff HM, Trachiotis GD, Allman RM, Deedwania P, Zeng-Trietler Q, Taub DD, Ahmed AA, Howard G, Ahmed A.

JAMA Oncol 2022; 8 : 1428-1437

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Auteur

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Bernard Milleron

Rédacteur en chef 

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Thématiques : Épidémiologie, Prévention
Revue : British Journal of Cancer