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Lancet oncology

Surveillance des cancers du poumon opérés : résultats de l’étude IFCT 03-02

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août 2022

Chirurgie, Surveillance

Bien que plusieurs recommandations suggèrent d’inclure le scanner thoracique dans la surveillance post-opératoire des cancers bronchiques non à petites cellules cette recommandation ne repose que sur quelques études non randomisées. Ceci a conduit Virginie Westeel à concevoir en 2003 avec l’IFCT une grande étude randomisée de phase III qui a été menée dans 122 centres français et qui comparait chez des patients de plus de 18 ans récemment opérés (jusqu’à 8 semaines) d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade I à IIIA (cTNM de la sixième édition) :

  • Soit un suivi minimum comportant un interrogatoire, un examen clinique et une radiographie thoracique, tous les 6 mois pendant deux ans puis tous les ans jusqu’à 5 ans.
  • Soit ce même suivi aux mêmes dates, associé à un scanner thoracique et du haut abdomen et à une bronchofibroscopie chez les patients opérés d’un cancer épidermoïde. 

La randomisation de ces patients, - qui pouvaient aussi bien avoir été traités par une simple intervention chirurgicale que par une chirurgie associée à une chimiothérapie ou à une radiothérapie péri-opératoires - ,  était stratifiée selon le centre, le stade, l’histologie, le fait d’avoir reçu ou non une chimiothérapie ou une radiothérapie péri-opératoire.  

L'objectif principal était la survie globale. Les objectifs secondaires étaient la survie sans maladie (jusquà la récidive ou  jusqu’à un deuxième cancer), la qualité de vie, les facteurs de risque et une étude de coût/efficacité ; les résultats en seront rapportés ultérieurement. Nous n’aborderons pas ici les résultats qui concernent la bronchofibroscopie.                                                              

Le design initial de l’essai était conçu pour détecter une différence de survie à 3 ans de 7,5% en prévoyant un taux de survie à 3 ans de 40%. Il fallait 1744 patients et 984 événements pour répondre à cette question. Du fait de l’inclusion d’un  beaucoup plus grand nombre de patients de stades I et II qu’attendu,  la survie des patients du bras standard a été plus élevée que prévu. Ainsi les analyses intermédiaires, qui étaient prévues à 1/3 et 2/3 des inclusions, ont permis de constater que le nombre d’évènements était très inférieur à celui qui était attendu (39% en  2013  et 65% en 2015)  de sorte que le nombre d’évènements requis a été revu à la baisse en 2016. 

De janvier 2005 à novembre 2012, 1775 patients ont été inclus et 888 ont été randomisés  dans le bras suivi minimum et 887 dans le bras scanner. Parmi ceux-ci, 71 patients inéligibles (antécédents néoplasiques, résection incomplète, stades avancés ou absence de consentement) ont été gardés dans analyse en intention de traiter. Les caractéristiques des patients des deux groupes étaient bien réparties : L’âge médian était de 63 ans, il y avait 76% d’hommes et 8% de non-fumeurs. La répartition par stades était de 68% de stades I, 14% de stades II et18% de stades III. 

Chez les 888 patients du bras suivi minimum, 250 scanners ont été considérés comme injustifiés (c'est à dire effectués en l’absence de symptômes ou de signes à l’examen clinique). 

Avec un suivi médian de 7,2 ans, la survie médiane des patients des 2 bras ne différait pas significativement comme le montre le tableau ci-dessous : 

 

Suivi minimum

Scanner

p

N

888

887

 

Survie médiane (ans) (95%CI) 

8,5 (7,4-9,6)

10,3 (8,1-NA)

 

HR (95%CI) 

0,95 (0,83-1,10)

0,49

Taux de survie à 3 ans (%) 

77,2

76,1

 

Taux de survie à 5 ans (%)

66,8

65,8

 

DFS médiane (ans) (95%CI)

NA (NA-NA)

4,9 (4,3-NA)

 

 HR de DFS  (95%CI) 

1,14 (0 ,99-1,30)

0,063

Dans aucun des sous-groupes analysés aucune différence de survie sans maladie ni de survie globale n’a été notée. 

Le nombre de patients dont la récidive a été rapportée par les investigateurs était supérieur dans le bras scanner : il était de 246 (27,7%) dans le bras suivi minimum et 289 (32,6%) dans le bras scanner. Le poumon homolatéral ou contro-latéral et le cerveau étaient les sites de récidive les plus fréquemment en cause. La chirurgie exclusive a été le traitement de 5,7% des patients du bras surveillance minimum et de 13,1% de ceux du bras scanner. 

Le nombre de patients atteints de second cancer primitif était de 102 (11,5 %) dans le bras suivi minimum est de 96 (10,8 %) dans le bras scanner. Il s’agissait le plus souvent de second cancer du poumon, de cancer de la prostate ou de cancer de la tête et du cou. Davantage de seconds cancers broncho-pulmonaires ont été diagnostiqués dans le bras scanner (40 vs. 27, soit 4,5 versus 3 %). Lorsqu’ils étaient détectés par scanner ces seconds cancers étaient plus fréquemment accessibles à un traitement par chirurgie ou radiothérapie (29,4 vs 19%). 

Enfin aucun effet adverse attribuable aux examens réalisés n’a été rapporté.  

Cette étude est la première étude randomisée au monde explorant cette thématique dont les résultats sont publiés. Le fait qu’elle soit négative ne doit pas masquer qu’elle fournit des informations importantes :  elle montre que les scanners de surveillance permettent de déceler davantage de récidives et de seconds cancers et que ces récidives et seconds cancers, plus fréquemment asymptomatiques chez les malades du bras scanner, sont plus fréquemment accessibles à un traitement à visée curative. Ceci n’est pas étonnant puisque la problématique de cette étude est proche de celle des études de dépistage. Ces constatations sont les mêmes que les premiers résultats publiés il y a 20 ans dans les études de dépistage :  il a fallu attendre longtemps les résultats d’études randomisées incluant beaucoup plus de sujets pour que soit démontré que le dépistage sauve des vies. De plus, même si l'objectif principal est négatif parce que la différence de survie n'atteint pas la significacité, le fait que cette différence de survie soit de 2 ans n'est quand même pas négligeable. 

Cette importante étude n’a pu être réalisée pendant quinze ans que grâce à l’énergie de son investigatrice principale soutenue activement pendant les premières années par Alain Depierre. L’IFCT qui a su ici faire travailler ensemble les médecins de 122 centres français démontre une fois encore combien les essais académiques menés par les grands groupes coopérateurs ont une place importante en oncologie.  

 

 

 

Reference

Chest CT scan plus x-ray versus chest x-ray for the follow-up of completely resected non-small-cell lung cancer (IFCT-0302): a multicentre, open-label, randomised, phase 3 trial 

Westeel V, Foucher P, Scherpereel A, Domas J, Girard P, Trédaniel J, Wislez M, Dumont P, Quoix E, Raffy O, Braun D, Derollez M, Goupil F, Hermann J, Devin E, Barbieux H, Pichon E, Debieuvre D, Ozenne G, Muir JF, Dehette S, Virally J, Grivaux M, Lebargy F, Souquet PJ, Al Freijat F, Girard N, Courau E, Azarian R, Farny M, Duhamel JP, Langlais A, Morin M, Milleron B, Zalcman G, Barlesi F. 

Lancet Oncol 2022, August in press

Auteur

Bernard Milleron

Rédacteur en chef d'EM-Onco.