Pour améliorer les résultats de l’immunothérapie en première ligne, il est possible de lui associer une chimiothérapie et hier nous commentions les résultats de l’étude KEYNOTE-189 qui démontrait l’efficacité de cette démarche et il est aussi possible d’associer deux immunothérapies de mécanismes d’action différents comme dans l’étude CheckMate 227 dont les résultats viennent également d’être présentés à l’AACR et publiés le même jour dans New England Journal of Medicine.
CheckMate 227 est un essai de phase III multicentrique à promotion industrielle destiné à comparer une immunothérapie à une chimiothérapie en première ligne dans une population de malades atteints de cancers bronchiques non à petites cellules non antérieurement traités et ne présentant pas de mutation activatrice de l'EGFR de l'EGFR ou de translocation ALK-EML4.
Le design de cette étude est assez complexe car il a été conçu dès le début pour tenter de répondre à plusieurs questions et de nouveaux paramètres ont été introduits en cours d’étude.
Initialement deux types de populations stratifiées sur l’histologie (épidermoïdes vs non épidermoïdes) étaient inclus qu’ils aient ou non un statut PD-L1 ≥ 1% ( n=1189) ou négatif (n=550).
Chaque groupe était randomisé en 3 bras qui n’étaient pas exactement les mêmes :
Les patients dont le statut PD-L1 était positif étaient randomisés pour recevoir :
- Soit nivolumab 3mg/kg toutes les 2 semaines et ipilimumab 1mg/kg toutes les 6 semaines (n=396),
- Soit une chimiothérapie (n=397),
- Soit nivolumab à 240 mg toutes les 2 semaines.
Les patients dont le statut PD-L1 était négatif étaient randomisés pour recevoir :
- Soit nivolumab 3mg/kg toutes les 2 semaines et ipilimumab 1mg/kg toutes les 6 semaines (n=396),
- Soit une chimiothérapie (n=397),
- Soit nivolumab à 360 mg toutes les 3 semaines et chimiothérapie.
Le cross over n’était pas autorisé.
Au début de l’étude, seul le statut PD-L1 était pris en compte avec comme objectif de démontrer que, chez les patients PD-L1 positifs l’immunothérapie par nivolumab et ipilimumab prolongeait la survie globale par comparaison aux patients traités par la chimiothérapie.
Secondairement, du fait de la démonstration apportée de l’aptitude de la charge mutationnelle à sélectionner, mieux que le statut PD-L1, les patients susceptibles de tirer bénéfice de l’immunothérapie, la mesure de la charge mutationnelle a été introduite. Dans le même temps il a été décidé de mettre la survie sans progression en deuxième objectif principal (coprimary end point). Un amendement a donc été mis en place qui introduisait la survie sans progression des patients qui ont une charge mutationnelle ≥ 10 mutations par mégabase comme deuxième objectif principal .
Toutefois la charge mutationnelle n’a pas pu être déterminée chez tous les patients et loin de là, puisque c’est seulement environ le tiers des malades inclus qui ont pu avoir la détermination de cette charge mutationnelle.
Ainsi :
- 2877 malades ont été inclus,
- 1739 ont été randomisés,
- 1649 avaient des prélèvements qui permettaient la mesure de la charge mutationnelle
- et seulement 1004 ont eu une analyse valide de cette dernière.
Les principaux résultats que nous lisons ici portent sur le deuxième objectif principal, la survie sans progression,
Ensemble des patients
Avec un suivi minimum de 11,2 mois, 17,5% des malades traités par nivolumab et ipilimumab et 5,5% de ceux traités par chimiothérapie continuaient à recevoir leur traitement.
Le taux de survie sans progression à un an de l’ensemble des patients (quel que soit le taux de PD-L1) était sous nivolumab et ipilimumab de 30,9% vs 17% sous chimiothérapie (HR 0,83 ; 95%CI : 0,72-0,96). La survie sans progression médiane était de 4,9 mois (95%CI : 4,1-5,6) sous immunothérapie et de 5,5 mois (4,6-5,6) sous chimiothérapie.
Patients avec une charge mutationnelle élevée
Ces résultats ne portent que sur une fraction de cette population puisqu’ils ne portent que sur les 444 patients qui avaient au moins 10 mutations par mégabase dont 299 ont été randomisés soit dans le bras nivolumab et ipilimumab (n=139), soit dans le bras chimiothérapie (160).
Avec un suivi minimum de 11,2 mois, 24,4% des malades traités par nivolumab et ipilimumab et 3,1% de ceux traités par chimiothérapie continuaient à recevoir leur traitement.
Le taux de survie sans progression à un an des malades ayant une charge mutationnelle élevée traités par nivolumab et ipilimumab était de 42,6% vs 13,2% sous chimiothérapie. La survie sans progression médiane était de 7,2 mois chez les malades traités par immunothérapie vs 5,5 mois chez ceux traités par chimiothérapie (HR 0,58 ; 97,5% CI : 0,41-0,81). Cette différence était significative(p<0,001).
La durée de réponse était également beaucoup plus élevée chez les patients traités par immunothérapie.
Patients avec une charge mutationnelle basse
Dans cette population la survie sans progression médiane était de 3,2 mois sous immunothérapie et de 5,5 mois sous chimiothérapie. Cette différence n’était pas significative.
Analyses de sous groupes de patients présentant une charge mutationnelle élevée
Le bénéfice de survie sans progression dans le groupe des patients traités par nivolumab et ipilimumab était retrouvé :
- aussi bien chez les patients ayant une expression de PD-L1 supérieure ou inférieure à 1 %
- et aussi bien chez les patients ayant un cancer épidermoïde ou non épidermoïde.
D’autres résultats concernent les malades traités par nivolumab seul : même en prenant en seuil supérieur de positivité de la charge mutationnelle, il n’y avait pas de différence entre l’immunothérapie et la chimiothérapie.
Quant à l’analyse de la toxicité, elle montre que le nombre d’événements secondaires rapportés au traitement de grades 3 et 4 sont les mêmes dans les deux groupes mais que ceux qui conduisent à interrompre le traitement étaient plus fréquents chez les malades traités par immunothérapie (17,4 vs 8,9 %).
Sept patients traités par nivolumab et ipilimumab ont eu un décès rapporté au traitement et 6 parmi les malades traités par chimiothérapie.
Cette étude complexe permet de penser que, chez les malades qui ont une charge mutationnelle élevée, la survie sans progression est plus longue quand ils ont reçu une immunothérapie associant nivolumab et ipilimumab que quand ils ont reçu une chimiothérapie, et ce, quelle que soit l’histologie et quel que soit le statut mutationnel.
Beaucoup de questions se posent maintenant à la lecture de ces résultats :
1) ces résultats supposent que la charge mutationnelle soit disponible facilement, ce qui n’est pas le cas de notre pays pour l’instant. Peut-on rapidement rendre la mesure de la charge mutationnelle accessible en routine partout ?
2) Dans l’affirmative, cette immunothérapie associant deux médicaments dont le mécanisme d’action est différent va-t-elle s’imposer comme un nouveau standard de traitement pour les malades qui ont une charge mutationnelle élevée sans qu'un bénéfice de survie soit démontré ? On peut espérer une différence significative de survie, d’autant que le cross over n’était pas autorisé dans cette étude.
3) Si un bénéfice de survie de cette immunothérapie sur la chimiothérapie est obtenu sera-t-il identique à celui qui est obtenu par l’association d’une immunothérapie et d’une chimiothérapie ?
Les connaissances évoluent extrêmement vite et on réalise à la lecture de ces résultats combien nous avons encore besoin qu'une recherche clinique extrémement active soit poursuivie tant les questions qui se posent sont nombreuses.
Reference
Nivolumab plus Ipilimumab in Lung Cancer with a High Tumor Mutational Burden.
Hellmann MD, Ciuleanu TE, Pluzanski A, Lee JS, Otterson GA, Audigier-Valette C, Minenza E, Linardou H, Burgers S, Salman P, Borghaei H, Ramalingam SS, Brahmer J, Reck M, O'Byrne KJ, Geese WJ, Green G, Chang H, Szustakowski J, Bhagavatheeswaran P, Healey D, Fu Y, Nathan F, Paz-Ares L.
N Engl J Med. 2018 Apr 16. [Epub ahead of print]