La surveillance post-thérapeutique des cancers bronchiques localisés est basée sur l’imagerie, qui ne détecte les récidives que quand elles deviennent macroscopiques. L’intensification de la surveillance par scanner et fibroscopie n’améliore pas le pronostic des patients opérés. Dans ce contexte, la détection de l’ADN tumoral circulant (ADNtc), déjà utilisée pour rechercher des mutations addictives chez les patients métastatiques, pourrait permettre de dépister plus tôt la persistance d’une maladie résiduelle microscopique immédiatement après traitement, ou la survenue d’une récidive au cours de la surveillance. Cependant, la recherche d’ADNtc basée sur une PCR seule ou associée à la recherche d’oncogènes addictifs par NGS manque de sensibilité dans les stades précoces. Dans le cancer du sein ou du colon, cette technique n’est positive que chez la moitié des patients opérés qui présenteront une récidive au décours.
Une équipe de Stanford a donc cherché à rendre plus sensible la détection d’ADNtc dans les cancers bronchiques localisés. Pour cela, les auteurs ont répertorié les gènes les plus souvent mutés dans le cancer bronchique, sans se focaliser uniquement sur les oncogènes addictifs. Ils ont retenu 128 gènes mutés de façon récurrente, dont 7 oncogènes addictifs (drivers) et 121 gènes non addictifs (passengers). Cette méthode a ensuite été appliquée chez 54 individus sains et 40 patients pris en charge pour un cancer bronchique localisé, pour lesquels un total de 255 prélèvements étaient disponibles avant traitement puis à différentes échéances après traitement. Les patients présentaient des cancers bronchiques de stade I à III et bénéficiaient d’une prise en charge à visée curative, majoritairement par radiothérapie, plus rarement par chirurgie.
Avant traitement, la méthode développée par les auteurs a permis de retrouver de l’ADNtc chez 37 patients (93%), avec une moyenne de 5 mutations par patient, et une fraction mutée de 0,62%, soit dix fois moins que précédemment observé dans le cancer bronchique métastatique. Les mutations des gènes « drivers » étaient minoritaires (18%) et concernaient par fréquence décroissante TP53, KRAS, KEAP1, EGFR, STK11, NF1, et CDKN2A, alors que la majorité des mutations concernaient des gènes « passengers » (82%) sans rôle oncogénique connu à ce jour, avec une moyenne de 5 mutations par patient. L’association des mutations « drivers » et « passengers » permettait d’augmenter de façon importante la sensibilité du test, qui passait de 69% à 93%, sans nuire à sa spécificité, qui passait de 98% à 96%, pour une AUC globale de la courbe ROC à 0.97. Il existait une corrélation forte et significative entre le niveau d’ADNtc et le stade de la maladie parmi les 37 patients présentant une recherche d’ADNtc positive en préopératoire. Le niveau d’ADNtc préthérapeutique n’était en revanche pas associé de façon significative au pronostic des patients.
Après traitement, les patients étaient évalués par des scanners, TEP, et recherche d’ADNtc à 4 mois de la fin de la séquence thérapeutique, puis tous les 6 à 12 mois selon les recommandations en vigueur. La recherche d’ADNtc était positive au cours de la surveillance pour 20 patients (54%), et ils ont tous récidivé. La recherche était restée négative tout au long de la surveillance pour 17 patients (46%), et aucun n’a récidivé. Les résultats étaient comparables quand seule la première recherche d’ADNtc réalisée à l’initiation de la surveillance était prise en compte. La détection d’ADNtc postopératoire était un facteur pronostic fort en analyse uni et multivariée (p<0.001). De façon intéressante, la détection d’ADNtc précédait de 4 à 6 mois le diagnostic de récidive par imagerie, et pourrait offrir des perspectives thérapeutiques (mutation de l’EGFR, charge mutationnelle élevée par exemple).
Après traitement d’un cancer bronchique localisé par chirurgie ou radiothérapie, la prescription des traitements adjuvants est basée sur le stade de la tumeur initiale, et non sur la présence de maladie résiduelle à l’issue du traitement local. Cette stratégie peut conduire à des traitements insuffisants, par exemple pour les stades I qui dans leur ensemble ne bénéficient pas de traitement adjuvant mais récidivent dans 10 à 40% des cas selon le traitement local. Mais cette stratégie peut également conduire à des traitements injustifiés, par exemple dans les tumeurs de plus de 4 cm sans extension ganglionnaire qui relèvent d’une chimiothérapie adjuvante mais pourraient être guéries par la chirurgie seule dans près de 50% des cas. Au total, le bénéfice global de la chimiothérapie adjuvante est de 5 à 10% à 5 ans, ce qui suggère qu’il faut traiter 10 à 20 patients pour éviter un décès.
Cette étude est bien sûr limitée par son caractère rétrospectif et unicentrique, et une validation solide est indispensable avant d’utiliser l’ADNct pour déterminer le traitement adjuvant. Néanmoins, la détection de maladie microscopique, qu’il s’agisse d’une maladie résiduelle retrouvée immédiatement après traitement local, ou d’une récidive très précoce retrouvée plusieurs mois plus tard, ouvre une opportunité majeure d’enrichir les essais adjuvants en patients à très haut risque de récidive quelque soit le stade initial de la maladie. Cette technique sensible de détection de l’ADNtc pourrait donc permettre la mise en place de stratégies adjuvantes innovantes.
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Reference
Early Detection of Molecular Residual Disease in Localized Lung Cancer by Circulating Tumor DNA Profiling.
Chaudhuri AA, Chabon JJ, Lovejoy AF, Newman AM, Stehr H, Azad TD, Khodadoust MS, Esfahani MS, Liu CL, Zhou L, Scherer F, Kurtz DM, Say C, Carter JN, Merriott DJ, Dudley JC, Binkley MS, Modlin L, Padda SK, Gensheimer MF, West RB, Shrager JB, Neal JW, Wakelee HA, Loo BW Jr, Alizadeh AA, Diehn M.
Cancer Discov 2017; 7 : 1394-1403