Journal of Clinical Oncology

Bevacizumab et mésothéliome : l’essai de Kindler publié.

Mode d'évaluation :
1 point : les articles apportant des connaissances réellement nouvelles par rapport à la littérature;

2 points : les études contribuant, notamment pour les essais thérapeutiques, à l'apport d'un niveau de preuve A (méta-analyse ou essais randomisés de phase III portant sur un grand nombre de malades) ou B (essais randomisés à effectifs réduits (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2);

3 points : les études susceptibles de modifier les pratiques.
juillet 2012

Mésothéliomes, Thérapeutique ciblée

Cet article rapporte les résultats d’un essai de phase II multicentrique mené aux USA et sponsorisé par le NCI qui évalue dans les mésothéliomes l’addition du bevacizumab (15 mg/kg) comparé à un placebo à une chimiothérapie par gemcitabine (1250 mg/m2J1-J8) et cisplatine (75 mg/m2 J1). L’objectif principal était la PFS.

Les patients devaient avoir un mésothéliome non résécables, mesurable et un ECOG à 0 ou 1. Les facteurs d’exclusion étaient assez stricts : ils ne devaient notamment pas avoir de trouble de coagulation, d’embolies pulmonaires ou de thromboses veineuses.

En 4 ans, 11 centres ont inclus 115 patients évaluables dont seulement 108 ont été retenus comme évaluables et éligibles. Ils étaient stratifiés selon le PS (avec quelques erreurs rectifiées lors du contrôle de qualité) et l’histologie.

La PFS médiane ne différait pas significativement 6.9 mois (95% CI, 5.3-7.3 mois) pour le bras bevacizumab versus 6.0 mois (95% CI, 5.5-7.0 mois) pour le bras placebo.

Les taux de réponse partielle dans le bras bevacizumab et dans le bras placebo ne différaient pas significativement (24,5 vs 21,8%) pas plus que ceux de stabilité (51 vs 60%). De même la survie globale ne différait pas non plus significativement (15,6 vs 14,7 mois).

Aucune différence de toxicité de grade ≥3 n’a été observée.

Une étude de sous-groupe a été effectuée sur 56 patients pour déterminer la valeur prédictive du taux sérique de VEGF circulant. De fait, le taux circulant de VEGF s’avère pronostique puisque les patients ayant le plus fort taux ont un moins bon pronostic, quel que soit le bras de traitement (p=0,014 pour la survie globale, HR=1,37 pour chaque doublement du taux sérique). Plus intéressant, le taux de VEGF pourrait prédire les patients bénéficiant le plus du bevacizumab (ceux ayant le taux de VEGF le plus bas) avec une interaction avec le bras de traitement qui est rapportée comme significative pour la PFS (p=0,030) et « marginalement » significative pour la survie globale (p=0,063). De fait chez les patients avec un taux de VEGF à l’inclusion plus bas que la médiane, la PFS (p=0,043) comme la survie globale (P=0,028) sont significativement meilleures dans le bras avec bevacizumab que dans le bras sans bevacizumab. A l’inverse dans le groupe de patients avec un taux de VEGF élevé (supérieur à la médiane) il n’y a aucune différence observée  de survie entre les deux bras de traitement.

Cette étude de phase II n’a donc pas réussi à montrer un bénéfice apporté par l’addition de bevacizumab à une chimiothérapie par cisplatine et gemcitabine, mais identifie bien le taux de VEGF sérique comme un facteur à la fois pronostique et prédictif de la survie chez des patients avec mésothéliome et recevant du bevacizumab


 

 

La publication de cet essai, dont les résultats furent présentés pour la première fois à l’ASCO en 2006, puis au WCLC de Séoul en 2007 était très attendue.

En effet, depuis cet essai pas moins d’une demie-douzaine d’études de phase 2 non randomisées utilisant, dans le mésothéliome, des inhibiteurs oraux de l’angiogénèse, inhibiteurs de la tyrosine kinase du VEGFR, se sont avérées franchement négatives, sans aucun signal, au point que certains commentateurs aient imprudemment annoncé qu’il n’y avait pas d’avenir dans le mésothéliome pour les antiangiogéniques.

Cet essai du JCO est présenté comme « négatif » sur la foi d’une comparaison directe entre les deux bras de traitement.

Rappelons à nouveau à cet égard qu’il ne saurait y avoir de comparaison statistiquement valable entre les deux bras d’une phase 2 randomisée, faute de puissance statistique, puisque dans un tel design (« head to head », randomisation 1 :1) la détection d’une différence de survie globale de 2 mois avec une puissance de 80% et un risque alpha de 5% nécessiterait  pas moins de 1639 patients randomisés !!!

De fait dans l’essai d’enregistrement du pemetrexed dans le mésothéliome, si l’analyse avait été restreinte aux 108 premiers patients randomisés, aucune différence statistique n’aurait émergé.

A nouveau, il convient de répéter que la phase 2 randomisée n’a pour seul intérêt que de diminuer, par la randomisation, le risque d’ultra sélection des patients et il n’est pas illogique qu’on ne puisse détecter à cette étape de différence de survie. La phase 2 doit avoir des objectifs quantitatifs pour détecter un manque d’efficacité, (et non une efficacité), objectifs qui peuvent être la réponse (toujours difficile à évaluer dans le mésothéliome), ou plus simplement, le nombre de patients contrôlés (réponse + stabilité) à 6 mois.

Sur ces critères, l’essai de Kindler est à ce jour l’essai thérapeutique qui rapporte la plus longue survie sans progression (6,4 mois) et la plus longue survie globale (15,6 mois), dans le mésothéliome, à comparer aux 13,3 mois rapportés pour les patients avec substitution vitaminique dans le bras pemetrexed de l’essai de phase 3 de Vogelzang [1], les deux bras mêlés. De fait les essais ultérieurs, non randomisés à base d’antiangiogéniques oraux n’ont jamais atteint ces résultats, stagnant au niveau du doublet pemetrexed-cisplatine à 13 mois de médiane de survie.

Par ailleurs, l’essai de Kindler avait débuté avant l’AMM du pémétrexed, s’où le choix du doublet, gemcitabine/cisplatine dont on sait maintenant qu’il est inferieur aux doublets à base de pémétrexed.  Comme Kindler le reconnaît dans sa discussion « il est clair que la majorité des patients inclus dans cette essai ont reçu du pémétrexed en deuxième ligne », l’AMM ayant été obtenue pendant le déroulement de l’essai. Or le pémétrexed, en deuxième ligne, après une première ligne n’en n’ayant pas contenu est à même de « rattraper » cette première ligne ainsi que le montrent les données des études pré-AMM d’ATU de cohorte[2-4]. Ainsi, ce traitement de première ligne a pu effacer toute différence de survie globale entre les deux bras de traitement. Pourquoi alors n’y a–t-il pas de différence de survie sans progression entre les deux bras de traitement ? Là encore la prudence s’impose dans l’analyse de ces données et il faut rappeler que certaines phase 3 positives sur la survie globale, ne l’étaient pas sur la PFS (ainsi la phase 3 FLEX testant le cetuximab  dans les CBNPC). Par ailleurs, l’évaluation de la réponse nécessite des critères très précis dans le mésothéliome, une méthodologie rigoureuse basée sur les critères RECIST modifiés[5]qui n’avaient à l’époque pas été validés. De fait la réponse enregistrée est celle évaluée par les investigateurs sans qu’il y ait eu de panel de relecture des documents. Enfin l’étude a inclus 8% de mésothéliomes péritonéaux ou de la vaginale testiculaire pour lesquels les lésions (liquidiennes) sont rarement mesurables contrairement aux critères d’inclusion, et qui ont une évolution différente de celle des mésothéliomes pleuraux (de  chimiosensibilité très variable selon els études)[6-10].

 

Pour autant peut on dire qu’il n’y a pas de signal dans cette étude ? : sa publication dans un journal de la qualité de JCO doit beaucoup à l’étude de biomarqueurs (taux de VEGF sérique) qui montre clairement une différence de survie en faveur du bras bevacizumab chez les patients ayant le taux de VEGF les plus bas, avec un test d’interaction positif, ce qui est remarquable dans une série de taille aussi restreinte quand on sait que ce test d’interaction diminue de moitié la puissance pour démontrer un effet significatif. Un test d’interaction positif sur une série de 56 patients avec mesures du VEGF témoigne donc, soit d’un artefact statistique (lié au hasard) et il convient bien sûr d’être très prudent, soit, de fait, d’une valeur prédictive puissante qui nécessite absolument confirmation prospective.

Dans cet essai, les patients ont été aussi très sélectionnés sur la base de critères d’exclusion cardio-vasculaires du bevacizumab, dont les cliniciens, à l’époque, avaient encore peu l’habitude, et la sélection d’une population de globalement meilleur pronostic vital a pu aussi gommer des différences de survie.

Enfin, et Kindler y fait allusion dans sa discussion, on sait désormais qu’il pourrait y avoir un antagonisme pharmacodynamique ou du moins une absence de synergie pharmacodynamique entre gemcitabine et bevacizumab, puisque la gemcitabine est un des cytotoxiques qui n’induit pas le relargage de cellules médullaires progénitrices endothéliales, dont la détection a été associée à l’efficacité du bevacizumab.

Kindler rappelle que tous les essais d’association de la gemcitabine avec le bevacizumab se sont avérés négatifs dont le plus célèbre, l’essai AVAIL dans les CBNPC. A l’inverse, les associations pemetrexed/bevacizumab se sont avérées particulièrement intéressantes notamment dans l’essai AVAPERL dans les CBNPC.

Et Kindler , dans sa discussion de justifier le rationnel de l’essai Français IFCT-GFPC 0701 MAPS en cours depuis 2008, et dont le design a cherché à éviter les possibles artefacts méthodologiques signalés ci-dessus.

Cet essai est une phase 2-3 dont l’objectif de la phase 2 était de vérifier le nombre de patients contrôles à 6 mois dans avec le triplet pemetrexed/cispaltine/bevacizumab. L’objectif de 25 patients contrôlés sur les 50 premiers randomisés dans le bras expérimental a été atteint (27 en fait), et la phase 3 a pu démarrer, ayant inclus à ce jour 296 patients pour un objectif final de 445 qui sera atteint début 2014, et un objectif de gain de survie globale de 4 mois, un étude de biomarqueurs sériques (dont le taux de VEGF sérique) et tissulaires. Les critères d’inclusion incluent (au contraire de l’essai Kindler) les patients de PS=2, et des patients qui ont des comorbidités cardio-vasculaires modérées. Une phase de maintenance par bevacizumab est prévue, ce qui n’était pas le cas dans l’essai Kindler, et qui peut s’avérer très important quant on rappelle l’impact sur la survie, statistiquement significatif, de la maintenance par bevacizumab dans le seul essai de phase 3 l’ayant testé, dans les cancers de l’ovaire (ASCO 2011). Il s’agit actuellement de la seule et de la plus large étude de phase 3, en première ligne dans le mésothéliome malin (restreinte aux forme pleurales). Rappelons enfin que la PFS des deux bras mêlés dans la phase 2 a été de 9,2 mois ce qui constitue la meilleure survie sans progression jamais rapportée dans un essai mésothéliome à ce jour. MAPS permettra donc de trancher définitivement sur l’intérêt du bevacizumab dans le mésothéliome et des biomarqueurs prédictifs ou pronostiques, sériques ou tissulaires.

 

1. Vogelzang NJ, Rusthoven JJ, Symanowski J et al. Phase III study of pemetrexed in combination with cisplatin versus cisplatin alone in patients with malignant pleural mesothelioma. J Clin Oncol 2003; 21: 2636-2644.

2. Carteni G, Manegold C, Garcia GM et al. Malignant peritoneal mesothelioma-Results from the International Expanded Access Program using pemetrexed alone or in combination with a platinum agent. Lung Cancer 2009; 64: 211-218.

3. Reck M, Stahel RA, von Pawel J et al. Pemetrexed in the treatment of malignant mesothelioma: results from an expanded access program in Germany. Respir Med 2010; 104: 142-148.

4. Taylor P, Castagneto B, Dark G et al. Single-agent pemetrexed for chemonaive and pretreated patients with malignant pleural mesothelioma: results of an International Expanded Access Program. J Thorac Oncol 2008; 3: 764-771.

5. Byrne MJ, Nowak AK. Modified RECIST criteria for assessment of response in malignant pleural mesothelioma. Ann Oncol 2004; 15: 257-260.

6. Chu CS, Menzin AW, Leonard DG et al. Primary peritoneal carcinoma: a review of the literature. Obstet Gynecol Surv 1999; 54: 323-335.

7. de Pangher Manzini V. Malignant peritoneal mesothelioma. Tumori 2005; 91: 1-5.

8. Deraco M, Casali P, Inglese MG et al. Peritoneal mesothelioma treated by induction chemotherapy, cytoreductive surgery, and intraperitoneal hyperthermic perfusion. J Surg Oncol 2003; 83: 147-153.

9. Eltabbakh GH, Piver MS, Hempling RE et al. Clinical picture, response to therapy, and survival of women with diffuse malignant peritoneal mesothelioma. J Surg Oncol 1999; 70: 6-12.

10. Garcia-Carbonero R, Paz-Ares L. Systemic chemotherapy in the management of malignant peritoneal mesothelioma. Eur J Surg Oncol 2006; 32: 676-681.

 

Reference

Multicenter, Double-Blind, Placebo-Controlled, Randomized Phase II Trial of Gemcitabine/Cisplatin Plus Bevacizumab or Placebo in Patients With Malignant Mesothelioma.

Kindler HL, Karrison TG, Gandara DR, Lu C, Krug LM, Stevenson JP, Jänne PA, Quinn DI, Koczywas MN, Brahmer JR, Albain KS, Taber DA, Armato SG 3rd, Vogelzang NJ, Chen HX, Stadler WM, Vokes EE.

J Clin Oncol 30:2509-2515

41 lectures

Coup de ♥ du mois

Risque de cancer du poumon chez les mineurs exposés à de faible taux de radon

novembre 2015

Si les données concernant les expositions à de fortes concentrations de radon sont bien connues,...

Lire la suite
Thématiques : Épidémiologie, Prévention
Revue : British Journal of Cancer