Journal of Clinical Oncology

Devons nous annoncer un pronostic précis ?

Mode d'évaluation :
1 point : les articles apportant des connaissances réellement nouvelles par rapport à la littérature;

2 points : les études contribuant, notamment pour les essais thérapeutiques, à l'apport d'un niveau de preuve A (méta-analyse ou essais randomisés de phase III portant sur un grand nombre de malades) ou B (essais randomisés à effectifs réduits (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2);

3 points : les études susceptibles de modifier les pratiques.
octobre 2015

Traitement des stades IV, Relation avec le patient

Du fait du caractère particulièrement important de ce sujet,  j'ai proposé qu’il soit  exceptionnellement commenté par deux experts venant d’horizons différents, Jean Louis Pujol, oncopneumologue à Montpellier et Carole Bouleuc, oncologue à l’Institut Curie, où elle dirige le département des Soins de Support.  Je les remercie vivement tous les deux pour ce travail.

Bernard Milleron

Rédacteur en Chef
 



Voici un article dérangeant au sens étymologique : il nous fait sortir du rang.

Il aborde la question la plus délicate de la relation médecin-malade en oncologie. Si la plupart des cancérologues (et des oncologues), font part de la nature incurable du cancer métastatique, la question de la survie estimée en mois est plus rarement évoquée.

Les motivations pour ne pas faire état de pronostics parfois très sombres tiennent à la crainte que l’information ne soit en elle-même "toxique" et nuise à la qualité de vie du malade.

L’étude nord-américaine citée ici aborde le sujet auprès de 590 patients traités pour cancer métastatique.

Environ la moitié des patients ont accepté d’estimer leur propre espérance de vie. Ces patients préparent généralement leurs directives anticipées et font part de leurs souhaits en termes d'une éventuelle tentative de réanimation.

Deux observations importantes sont faites par l’étude :

- les patients qui ont souvenir d’un entretien avec leur cancérologue, portant sur un pronostic chiffré, ont une estimation de leur espérance de vie qui s’avère très proche de leur survie réelle. Ceux qui ne se rappellent pas avoir reçu cette information, surestiment le temps qui leur reste à vivre.

- Le fait qu'il y ait une connaissance du pronostic n'aurait, selon l'étude, pas d'effet sur le degré de détresse psychologique du patient ni sur la relation avec l'équipe soignante : les niveaux de dépression et d’anxiété, après ajustement sur différentes co-variables (telles que l'âge, le sexe, le niveau d'éducation, le degré de croyance religieuse), seraient donc indépendants du fait d’avoir reçu ou non une information pronostique précise.

Chacune de ces affirmations est entachée d'une certaine limite.

Reprenons :

Si l'on affirme que la moitié des patients acceptent d’évoquer leur espérance de vie on suppose donc que l'autre moitié ne peut s'y résoudre. Ceci corrobore une étude plus ancienne (1)  réalisée auprès de patients traités en radiothérapie. Pour 86% d'entre eux, les patients auraient souhaité que l'information pronostique leur soit annoncée après qu'ils en eurent exprimé la demande. Mais quand l'étude considère leur expérience réelle, 35% de ces patients qui auraient préféré que leur souhait soit connu ont fait l'expérience d'une information pronostique non souhaitée. Ainsi, cette étude, suggérait-elle déjà qu’il ne faut pas annoncer un pronostic chiffré avant de connaitre la demande du patient. La question liminaire simple pourrait être : « jusqu’à quel point souhaitez-vous que je vous informe ? » avant que de délivrer une information précise.

L’écart entre l’estimation de l’espérance de vie et la survie globale réelle résulte, aux dires que cet article, d’un défaut de communication du médecin. Or, la communication se définie par l’interaction d’au moins deux personnes ; utiliser le déclaratif des patients, tout en ignorant ce qui s’est réellement dit puisque l’étude ne l’a pas enregistré, c’est exposer le lecteur à des biais d’interprétation. Le déni, l’oubli, peuvent avoir effacé les traces d’une information réellement communiquée. C’est aussi faire peu de cas des phénomènes bien connus de PTSD (désordres de stress post-traumatique): la forte prévalence du PTSD après l’annonce d’un cancer (2,3), provoque des comportements d’évitement qui sont autant de formations secondaires tentant de contrer les cognitions de ré-intrusion propres au traumatisme.

Alors peut-on être certain que l’annonce d'un pronostic temporalisé n’ait aucun impact sur la qualité de vie ? Cela n’est pas si sûr.

L’éthique de la communication en cancérologie est complexe: il faut répondre aux questions des malades, mais il faut également percevoir la demande derrière la question. Gardons à l’esprit l’aphorisme de De La Rochefoucauld : « Le soleil et la mort ne se peuvent regarder fixement ».

Références

1) Mackenzie LJ, Carey ML, Paul CL et al. Do we get it right? Radiation oncology outpatients’ perceptions of the patient centredness of life expectancy disclosure. Psychooncology. 2013; 22(12):2720-8. : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23801643

2) Mehnert, A., & Koch, U. (2007). Prevalence of acute and post-trau- matic stress disorder and comorbid mental disorders in breast cancer patients during primary cancer care: A prospective study. Psychoon- cology, 16, 181-188. doi:10.1002/pon.1057 : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16856147

3) Pujol JL, Plassot C, Mérel JP, Arnaud E, Launay M, Daurès JP, Boulze I. Post-traumatic stress disorder and health-related quality of life in patients and their significant others facing lung cancer diagnosis: intrusive thoughts as key factors. Psychology (PSYCH) 2013; No.6A1, June 2013 : http://www.scirp.org/journal/psych/

Professeur Jean-Louis Pujol

CHU de Montpellier



La discussion pronostique est une des tâches les plus difficiles pour un oncologue. Alors que la majorité des médecins annoncent aux patients l’incurabilité de leur maladie cancéreuse, seul 43% d’entre eux aborde la question de l’espérance de vie (Daugherty, JCO 2008). Les patients déclarent recevoir une chimiothérapie pour une maladie curable dans 75 % dans une étude portant sur 1193 patients atteints de cancers du colon et du poumon métastatiques (Weeks, NEJM 2012). Une perception juste par le patient de son pronostic permet de réduire l’agressivité des soins en fin de vie (Wright JAMA 2008). De nombreuses questions persistent sur l’information à donner sur le pronostic. Les patients souhaitent-ils connaitre leur espérance de vie chiffrée ? Quel est l’impact de l’information pronostique délivrée par le médecin sur les croyances du patient ?

Matériel et Méthode

Les patients ont été inclus entre 2002 et 2008 dans 6 centres américains, s’ils présentaient une maladie métastatique avec une progression après la première ligne de chimiothérapie, âgé de plus de 20 ans et s’ils étaient capables de répondre à un questionnaire anglais. Sur 993 patients éligibles, 590 ont été inclus. L’évaluation a comporté des paramètres psycho-sociaux, des questionnaires de spiritualité (Pargament et Fetzer MMRS), de qualité de vie (Mac Gill), d’évaluation sur le pronostic (intégration actuelle du pronostic, information médicale reçue et désir d’information) et sur la présence de documents écrits par le patient exprimant un souhait de réanimation ou de directives anticipées.

Résultats

Sur 590 patients, 299 (51%) souhaitent avoir leur estimation propre de leur espérance de vie, et 419 (71%) souhaitaient recevoir de leur médecin une estimation de leur espérance de vie, alors que seulement 104 (17,6%) l’ont effectivement reçu. Cette estimation reçue datait de 6 mois.

Dans le groupe de patients ayant leur propre estimation de leur espérance de vie, 86,5% surestiment leur pronostic de plus de 2 ans, et 29% de plus de 5 ans. Cette surestimation est plus forte pour les patients déclarant ne pas avoir reçu d’estimation par leur médecin.

Dans le groupe de patient ayant reçu une estimation de leur espérance de vie par leur oncologue, la médiane de survie estimée par le patient est plus courte, 12 mois versus 48 mois (p<0.001). De même les patients les patients de ce groupe se déclarent plus souvent en phase terminale (60.8% v 28.7% ; adjusted OR 3.21).
La médiane de survie de la cohorte est de 5.4 mois, et ne diffère pas dans le groupe de patient ayant reçu une estimation de leur espérance de vie par leur médecin.
Enfin dans le groupe des patients ayant reçu une estimation de leur espérance de vie, on constate une taux plus élevé de troubles de l’humeur, qui devient non significatif après ajustement pour l’âge le sexe, l’ethnie, le PS et le type de cancer.

Discussion

Cette étude permet de constater l’existence d’un fossé entre le désir d’information sur l’espérance de vie déclarée par 71% des patients, et la réception d’une telle information pour 17% d’entre eux seulement. Le souvenir par le patient d’une discussion avec son oncologue au sujet de son espérance de vie est associé à une meilleure évaluation par le patient de son espérance de vie (moins de surévaluation optimiste) et à un taux plus élevé de directives anticipées en faveur de limitations des soins.

Les patients n’ayant pas reçu d’estimation de leur espérance de vie ont une tendance très marquée à la surestimer, telle que cela est déjà largement décrit dans la littérature.

Les patients de cette cohorte déclarent avoir bénéficié d’une discussion sur leur espérance de vie dans seulement 17% des cas, alors qu’ils ont eu des discussions sur leurs directives anticipées dans 37%. Il n’est pas surprenant de constater que les discussions anticipées sur la fin de vie sont plus fréquentes et aisées, car elles sont moins menaçantes. Il s’agit plus de se préparer dans le cas ou le pire se produirait, ce qui est différent d’évaluer la probabilité de survenue du pire.

Le faible taux déclaré par les patients de discussion avec le médecin sur leur espérance de vie contraste avec d’autres études estimant un taux plus élevé lorsqu’il est estimé par les oncologues. Cette différence peut révéler l’efficacité de mécanismes de défense psychologiques mis en place par les patients comme le refoulement ou la dénégation, favorisé lorsque les oncologues utilisent des termes flous et vagues pour aborder une question qui les met parfois en difficulté.

Dans cette cohorte, les patients ayant eu une estimation de leur espérance de vie ne présentent pas plus de symptômes psychologiques ou d’altération de la qualité de vie. Néanmoins il ne s’agit pas de conclure qu’une discussion sur ce thème au combien sensible pour un patient ne risque jamais de lui provoquer de détresse psychologique. Il existe deux biais évidents : d’une part les oncologues ont sélectionné « naturellement » les patients avec lesquelles ils pouvaient ou devaient aborder ce type de discussion et d’autre part certains patients peuvent ne pas se rappeler avoir eu une telle discussion avec leur oncologue, en raison d’un refoulement mis en place à leur insu comme mécanisme de défense.

En conclusion cette étude passionnante nous éclaire sur la question essentielle de la discussion pronostique avec le patient, pierre centrale des questions éthiques sur la décision en oncologie. La lucidité du patient est essentiel pour lui permette l’autodétermination dans les choix de types et d’intensité de soins. Mais l’espoir et la préservation d’un espace psychique et mental, permis par une confiance minimale en soi et en son avenir sont également primordiaux. Etre dans une attitude de veille et de vigilance constante envers le patient pour savoir entendre et répondre de manière adaptée à une demande de clarification pronostique à chaque fois singulière est une compétence que les oncologues doivent acquérir en s’y formant.

Reference

Outcomes of Prognostic Disclosure: Associations With Prognostic Understanding, Distress, and Relationship With Physician Among Patients With Advanced Cancer.

Enzinger AC1, Zhang B1, Schrag D1, Prigerson HG2.

J Clin Oncol. 2015 Oct 5. [Epub ahead of print]

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Thématiques : Épidémiologie, Prévention
Revue : British Journal of Cancer