En Belgique, Hollande et Luxembourg, l’euthanasie est autorisée dans les deux conditions suivantes :
- le patient est dans une condition de souffrance physique et/ou mentale permanente et insupportable causée par une maladie ou un accident qui ne peut pas s’améliorer,
- il en a exprimé la demande de façon répétée.
Cette pratique représente dans ces pays 1,7 % (Hollande) et 1,9 % (Belgique flamande) de l’ensemble des décès et 5,1 (Hollande) et 5,6 % (Belgique flamande) des décès par cancer.
L’étude présentée ici a pour but de définir :
- combien de patients atteints de cancers broncho-pulmonaires avancés demandent l’euthanasie,
- pour combien cette demande est-elle prise en compte,
- quelles sont les caractéristiques des patients qui choisissent l’euthanasie,
- quelle est l’incidence de l’euthanasie et des autres traitements susceptibles de raccourcir la vie chez ces patients.
Les patients recrutés dans cette étude provenaient de 13 hôpitaux. Ils devaient avoir un cancer broncho-pulmonaire avancé.
L’inclusion impliquait la signature d’un consentement (son contenu n’est pas indiqué) et le recueil de données descriptives sur la maladie, le stade, le traitement envisagé etc. Il n’est pas indiqué que le patient était initialement interrogé sur son opinion concernant sa fin de vie.
Un questionnaire était rempli après le décès par le médecin qui avait pris en charge le malade pour les patients décédés dans les 18 mois qui suivaient l’inclusion. Ce questionnaire portait sur les demandes d’euthanasie, leurs renouvellements, et sur l’utilisation en fin de vie de traitements susceptibles de raccourcir la vie et d’euthanasie proprement dite.
Le PS dans la semaine qui précédait le décès, le caractère brutal ou non du décès, le lieu du décès et la « qualité du décès » notée sur une échelle de 1 à 10 étaient également notés.
Sur 291 patients atteints de cancer broncho-pulmonaire, 196 avaient les critères d’inclusion et 152 ont été finalement inclus (36 ont refusé et 8 ont été exclus pour participation à une autre étude. Sur ces 152 patients 115 sont décédés pendant les 18 mois et pour 105 seulement un questionnaire valide a été retourné.
Pendant la dernière semaine, 72% sont complètement grabataires. La majorité des patients (70%) sont morts dans l’hôpital où ils étaient soignés, 15% recevaient des soins de leur généraliste et les 15% restant dans un établissement de soins palliatifs.
Parmi ces 105 patients, 21 (20%) ont exprimé des désirs d’euthanasie et 15 (14,3%) l’ont fait de façon répétée. Parmi ces derniers 8 ont été euthanasiés c’est à dire 7,6% du total.
L’âge, le sexe, l’éducation, l’existence d’un « partenaire », les modalités de la prise en charge n’étaient pas liés à l’expression répétée d’un désir d’euthanasie ; le fait de n’avoir reçu dès le début qu’un traitement palliatif, un long délai entre le diagnostiques et le décès, un score de comorbidités élevé et de façon non significative le fait de mourir au domicile étaient liés au désir d’euthanasie.
Dans la majorité des autres cas le décès était précédé par l’administration de drogues susceptibles de raccourcir la vie mais sans intention de la raccourcir. Treize patients (12,4%) ont reçu une sédation profonde jusqu’au décès.
Cette étude, la première sur l’euthanasie dans le cancer du poumon permet de connaître des données nouvelles concernant la fréquence de la demande d’euthanasie et la fréquence de sa réalisation dans les pays où elle est autorisée par la loi. Ces chiffres ne sont pas transposables partout : cet article est accompagné d’un éditorial de Thierry Berghmans et Dominique Lossignol qui travaillent à l’Institut Jules Bordet de Bruxelles qui nous indique que la fréquence de cette pratique a beaucoup augmenté en Belgique depuis qu’elle est autorisée par la loi mais qu’elle s’est beaucoup plus répandue en Belgique flamande que française (911 vs 211 cas en 2011). Il est certain que cette demande dépend fortement de la perception qu’en a la population et les médecins eux mêmes.
A la lecture de cet article qui a le mérite d’alimenter notre réflexion, on reste interrogatif sur beaucoup de points concernant notamment les raisons pour les quelles l’euthanasie a été préférée à l'administration de traitements pouvant avoir pour effet d’abréger la vie mais qui ne sont pas donnés dans cette intention, ou à celles de sédations profondes. Ce choix a-t-il été « éclairé » ou présenté selon un mode binaire : euthanasie ou non ? On aurait aimé connaître aussi les éventuels débats et difficultés rencontrées au sein des équipes soignantes, avec les familles, avec les malades surtout car les choses n’ont probablement pas été toujours aussi simples …
L’équipe de recherché dirigée par Luc DELIENS à Bruxelles travaille depuis près de quinze ans sur les questions de fin de vie. Cette équipe aborde de façon très rigoureuse, en particulier la question des décisions de fin de vie, leurs justifications, leurs modifications, et leurs insertions dans le cadre législatif des Pays-Bas et de la Belgique.
L’étude qui est présentée dans cet article est un focus particulier sur la demande d’euthanasie, les décisions médicales de fin de vie et la pratique de l’euthanasie dans le cadre des cancers broncho-pulmonaires avancés.
Cet article montre combien l’euthanasie des patients atteints de cancers broncho-pulmonaires avancés est une réalité qui doit nous interpeller. Bien plus que pour les cancers en général, et bien plus encore que pour toutes pathologies confondues des situations de fin de vie, les patients atteints de cancers broncho-pulmonaires avancés formulent des demandes d’euthanasie. Plus de 14% des patients expriment une demande d’euthanasie de façon répétée : cela signifie que ces patients présentent une souffrance physique ou psychique à ce point importante qu’ils préfèrent mourir que vivre dans les conditions dans lesquelles ils vivent. Cet aspect doit attirer notre attention. Il est nécessaire d’orienter nos travaux de recherche sur la qualité de vie et le sens de la vie des personnes atteintes de cancers broncho-pulmonaires avancés.
Un deuxième constat est que près de 8% des patients inclus dans l’étude ont été euthanasiés. S’ajoute à cela le fait que plus de 12% des patients ont reçu une sédation profonde jusqu’à leur décès. Autrement dit, chez près de un patient sur cinq, la réponse à une vie jugée insupportable est soit l’euthanasie, soit l’altération de sa vigilance, voire de sa conscience.
Au-delà des questions qui consistent à justifier ou non de la dépénalisation de l’euthanasie dans nos pays, cette étude montre combien, de façon paradoxale, les évidents progrès de la médecine et en l’occurrence de l’oncologie, contribuent à des situations de grande complexité et de grande souffrance qu’il nous faut investir comme une priorité de santé publique. Autrement dit, et de mon point de vue, ce n’est pas la loi qui enlèvera la complexité de ces situations si elle autorise d’une façon ou d’une autre l’euthanasie et/ou la sédation terminale des patients. Nous devons nous poser la question de l’amont de ces situations. Ne faut-il pas que nous réfléchissions à ce que nous engageons lorsqu’au motif d’augmenter l’espérance de vie et dans l’espoir d’améliorer la qualité de vie, nous faisons courir le risque aux patients de ces situations d’aporie ? Ne devons-nous pas réfléchir à une limitation, voire une non mise en œuvre de certains traitements dans des situations complexes ?
Il est vrai que les personnes atteintes de cancer broncho-pulmonaires évolués sont confrontées à une efficacité très relative des traitements spécifiques d’une part, et d’autre part, à une atteinte qui touche au-delà de l’organe à une fonction qui est la respiration. Cette fonction a une charge symbolique évidente. Il me semble que la dyspnée, mais surtout la sensation d’asphyxie, voire la peur d’une fin de vie marquée par cette asphyxie peut être une des raisons de la prévalence importante des demandes d’euthanasie par rapport aux autres cancers.
La question des sédations profondes, ainsi que de l’augmentation du nombre de personnes qui finissent leur vie avec une sédation profonde pose problème. S’agit-il d’une façon de contourner la loi belge ou hollandaise ? S’agit-il d’une vrai réponse ou d’un pis-aller par rapport à la souffrance qui sous-tend les demandes d’euthanasie ?
Nous devrions prochainement en France pouvoir analyser les résultats d’une étude menée par l’Institut National des Etudes Démographiques en lien avec l’Observatoire National de la Fin de Vie, sur les décisions médicales de fin de vie. Cette étude qui a été faite en miroir d’une enquête (enquête Eureld) menée par les équipes belges et hollandaises nous permettra de connaître la réalité des décisions prises en fin de vie, elle explorera la question de l’intention et nous permettra d’appréhender la réalité des pratiques euthanasiques dans notre propre pays.
Quoi qu’il en soit, de telles études devraient nous obliger à développer de nouveaux types de recherche en France sur les questions éthiques de fin de vie mobilisant des équipes pluri professionnelles, avec une approche mixte quantitative et qualitative pour analyser la réalité de la souffrance qui sous-tend les demandes d’euthanasie et les décisions de fin de vie.