Les métastases de reperméation le long des trajets de ponction ou de drainage pleural, constituent une spécificité du mésothéliome pleural et sont redoutées car elles induisent des douleurs pariétales intenses souvent morphino-résistantes, du fait de leur composante neuropathique, par infiltration tumorale des racines nerveuses intercostales. Cet ensemencement tumoral pariétal est souvent méconnu des praticiens n'exerçant pas en région de forte endémie de mésotheliome (Nord, Normandie, Loire-Atlantique, Bouches-du-Rhône), qui ne pensent pas forcément à repérer les points de ponction pleurale, (au feutre ou par un point de tatouage à l'encre), face à une pleurésie chronique, chez un patient dont l'exposition professionnelle ou environnementale à l'amiante n'a pas forcément été identifiée à l'interrogatoire au moment de la ponction.
La fréquence de survenue de cette complication a principalement été évaluée dans les séries qui remontent à la période pré-pemetrexed, l'arrivée sur le marché de cet anti-métabolite en 2004 marquant un tournant évolutif historique dans la prise en charge thérapeutique du mésotheliome pleural malin. Elle varie selon la nature du geste pleural, étant augmentée en cas de drainage ou de ponction sous scanner, avec le calibre du drain ou de l'aiguille utilisés, ainsi que l'ont bien montré Argawal et coll (1). Toutes ces séries retrouvent une incidence autour de 10%, allant jusqu'à 21% pour certains (1-5). Ces métastases pariétales peuvent survenir plusieurs mois après la réalisation du geste ce que manifestement les concepteurs du dernier essai britannique, l'essai PIT, discuté ici, ignoraient ou on fait mine d'ignorer (6).
De fait, en analysant les scanners d'inclusion des patients inclus dans l'essai randomisé d'immunothérapie de 2ème et 3èmeligne MAPS 2 (7) (cliquer ici), on retrouve, là encore, 12 patients (sur 125 inclusions) avec des localisations pariétales, sur la ligne axillaire moyenne ou au niveau des arcs postérieurs de côte, alors que manifestement ces patients avaient été ponctionnés de 6 à 18 mois avant l'inclusion dans l'essai (G. Zalcman pour l'IFCT, données non publiées).
Rappelons aussi que dans le petit essai randomisé de O'Rourke (3) (61 patients randomisés entre radiothérapie et surveillance), avec une surveillance maximale de seulement 12 mois après inclusion (avec une médiane à 8 mois seulement), 6 patients développèrent une métastase de reperméation après 6 mois après la procédure pleurale, sur 12 avec de telles métastases (50%), le geste pleural ayant eu lieu dans les 3 semaines avant randomisation. Dans l'essai de Boutin de 1995 (5), la durée moyenne de survenue de nodules pariétaux était de 6 mois, allant de 3 à 13 mois, 6 des 12 métastases de reperméation observées (50%) survenant à 6 mois ou plus. Enfin, le temps moyen d'apparition de telles métastases était de 6 mois post-randomisation (179 jours, allant de 126 à 221 soit de 4 mois à 7,5 mois), dans le bras radiothérapie du précédent essai britannique de radiothérapie, l'essai SMART (8), (cliquer ici) et de 7,5 mois (224 jours, allant de 136 à 285 soit 4,5 à 9,5 mois) dans le bras surveillance, sachant que la randomisation elle-même pouvait se faire jusqu'à 42 jours soit près d'un mois et demi après la procédure pleurale. Il est étonnant que nos amis Britannique mettent une telle énergie à vouloir démonter qu'un traitement peu onéreux, sans morbidité, n'est pas, selon eux, justifié, alors qu'ils ont la plus forte incidence de mésothéliomes en Europe, du fait du retard à bannir l'amiante de leur industrie (2007 contre 1997 en France), et qu'ils n'ont, pendant la même période, pas été capables de construire le moindre essai randomisé de traitement médical du mesotheliome inopérable. Rappelons ainsi que l'essai SMART (8) publié en 2016 (cliquer ici), année de publication de l'essai français MAPS qui a établi un nouveau standard de traitement du mésotheliome (9) (cliquer ici), avait randomisé 203 patients entre radiothérapie immédiate des orifices de drainage, avec 11% de déviations protocolaires ce qui est énorme pour un essai randomisé (22 patients n'ayant pas reçu la bonne radiothérapie, dans les délais souhaités, déjà élargis à 42 jours contre 21 jours dans l'essai fondateur de Boutin). Cet effort louable s'était avéré assez vain, puisque près de deux fois plus de nodules cutanés avaient été observés dans le bras observationnel que dans le bras de radiothérapie (16/101 soit 15% vs. 9/102 soit 8,8%) avec une valeur de p à 0,14 du fait d'un manque évident de puissance. En effet les concepteurs avaient, sans doute sciemment pour ne pas à avoir à inclure trop de patients, pris une hypothèse statistique irréaliste de diminuer de 15 à 2% la fréquence des métastases, quand toute la littérature indiquait 10% comme la fréquence plancher de cet évènement. Et de fait, dans l'analyse per-protocole, prévue dans l'essai, des patients ayant reçu la bonne radiothérapie dans les bons délais prescrits, 16 métastases chez 99 patients (16,1%) contre 5 chez 81 patients (6%) étaient observées avec cette fois-ci une valeur significative de p à 0,037.
Le deuxième essai britannique, l'essai PIT, présenté il y a 2 ans au congrès mondial sur le cancer pulmonaire à Yokohama, vient d'être publié online dans le J. Clin. Oncol (6). Là encore il faut féliciter les auteurs pour avoir monté un tel essai dont le dernier auteur est notre amie Corine Faivre-Finn, radiothérapeute française de Manchester. On peut cependant regretter que pendant la même période les Britanniques qui, décidément, ont du mal à travailler dans une organisation commune, aient randomisé 203 patients dans l'essai (pas si) SMART et 375 dans l'essai PIT, la somme de ces patients, avec une question bien posée aux objectifs statistiques réalistes ayant pu permettre de montrer définitivement l'intérêt de la radiothérapie prophylactique des orifices de ponctions. En effet là encore, le péché originel de l'essai PIT est un design statistique irréaliste, basé sur un postulat que rien dans la littérature ne sous-tend. Les investigateurs ont postulé que la radiothérapie diminuerait la survenue de métastases cutanée... au bout de 6 mois, en affirmant dans leur introduction que ces métastases quand elles survenaient, étaient observées précocement, argumentaire qui d'ailleurs n'avait pas été mis en avant à Yokohama, mais qui a dû être élaboré après les critiques sur cet aspect de leur design. Là encore, l'objectif statistique de réduction d'incidence des métastases pariétales était irréaliste, puisqu'il était de passer d'une incidence de 15...à 5%. De fait dans cet essai par ailleurs admirablement conduit, avec une radiothérapie parfaitement et rigoureusement administrée, il n'y a aucune différence observée à 6 mois et les auteurs de conclure que la radiothérapie ne sert à rien. Le problème vient de ce qui est observé par la suite puisqu’à 24 mois, le nombre cumulé de métastases atteint 29/189 (15,3%) patients dans le bras sans radiothérapie contre 17/186 (9,1%) dans le bras radiothérapie avec un Hazard Ratio à 0,57 et un p à 0,06. Là encore comme SMART, l'essai PIT montre un effet parfaitement relevant de la radiothérapie allant totalement à l'encontre de la conclusion des auteurs.
Rappelons que récemment plusieurs scientifiques dont certains statisticiens de haut niveau ont rédigé récemment plusieurs éditoriaux dans des revues telle que Nature pour s'élever devant la dictature scholastique du seuil de 0,05 choisi arbitrairement pour affirmer la significativité, comme la valeur de 95% pour l'intervalle de confiance qui en découle, rappelant le caractère conventionnel de choix remontant au début du XXème siècle et qui conduit à écarter de nombreux résultats tant biologiques que médicaux pourtant valables et validés par la suite, en les écartant notamment de la publication dans des revues à fort impact (10-11).
Ainsi l'observation avec un p=0,06, un HR à 0,57 d'une telle réduction d'incidence des métastases de reperméation par la radiothérapie est-elle un indice encore très fort de l'efficacité de ce traitement qu'on ne saurait que trop recommander, et qui de fait, malgré ces résultats récents constitue une option thérapeutique de choix mentionnée dans le référentiel AURA-MESOCLIN sur la prise en charge du mésothéliome en France.
Plus spectaculairement, si on fait la somme des nodules observés dans les 2 essais britanniques: 16+29/ 101+189 dans les bras sans radiothérapie et 9+17/102+186 soit 45/290 (15,51%) versus 17/288 (5,9%) la différence est statistiquement significative au moyen d'un test de chi2 que tous nos lecteurs pourront reproduire, avec une valeur de p=0,01.
Cette critique vise à démontrer qu'il n'y a pas science sans sens critique, que le choix d'objectifs statistiques doit être basé sur les données objectives de la littérature, et non sur la volonté de vouloir démontrer une théorie a priori, sans respecter le principe d'ambivalence que sous-tend toute bonne recherche (aucune des deux hypothèses testées ne doit être favorisée par le design), sans vouloir faire un essai randomisé avec une économie de moyens, c'est à dire de patients à inclure, et qu'enfin, les conclusions d'une étude doivent prendre en compte, au-delà de l'objectif comptable arbitraire et de la valeur de p elle aussi arbitraire, la signification réelle de l'ensemble des résultats de l'étude, et leur reproductibilité, car derrière il y a toujours l'intérêt supérieur du patient.
Références
1 Pleural mesothelioma: sensitivity and incidence of needle track seeding after image-guided biopsy versus surgical biopsy. Agarwal PP, Seely JM, Matzinger FR, MacRae RM, Peterson RA, Maziak DE, Dennie CJ. Radiology 2006 ; 241: 589-94
2 Bydder S, Phillips M, Joseph DJ, Cameron F, Spry NA, DeMelker Y, et al. A randomised trial of single-dose radiotherapy to prevent procedure tract metastasis by malignant mesothelioma. Br J Cancer 2004; 91 : 9-10.
3 O'Rourke N, Garcia JC, Paul J, Lawless C, McMenemin R, Hill J. A randomised controlled trial of intervention site radiotherapy in malignant pleural mesothelioma. Radiother Oncol 2007; 84 : 18-22.
4 Cellerin L, Garry P, Mahe MA, Chailleux E. Malignant pleural mesothelioma: radiotherapy for the prevention of seeding nodules. Rev Mal Respir 2004; 21 : 53-8.
5 Boutin C, Rey F, Viallat JR. Prevention of malignant seeding after invasive diagnostic procedures in patients with pleural mesothelioma. A randomized trial of local radiotherapy. Chest 1995;108(3):754-8.
6 Bayman N, Appel W, Ashcroft L, Baldwin DR, Bates A, Darlison L, et al. Prophylactic Irradiation of Tracts in Patients With Malignant Pleural Mesothelioma: An Open-Label, Multicenter, Phase III Randomized Trial. J Clin Oncol. 2019 Mar 28:JCO1801678. doi: 10.1200/JCO.18.01678
7 Scherpereel A, Mazieres J, Greillier L, Lantuejoul S, Dô P, Bylicki O, et al. Nivolumab or nivolumab plus ipilimumab in patients with relapsed malignant pleural mesothelioma (IFCT-1501 MAPS2): a multicentre, open-label, randomised, non-comparative, phase 2 trial. Lancet Oncol 2019; 20 : 239-253.
8 Clive AO, Taylor H, Dobson L, Wilson P, de Winton E, Panakis N, et al. Prophylactic radiotherapy for the prevention of procedure-tract metastases after surgical and large-bore pleural procedures in malignant pleural mesothelioma (SMART): a multicentre, open-label, phase 3, randomised controlled trial. Lancet Oncol 2016; 17 : 1094-1104.
9 Bevacizumab for newly diagnosed pleural mesothelioma in the Mesothelioma Avastin Cisplatin Pemetrexed Study (MAPS): a randomised, controlled, open-label, phase 3 trial. Zalcman G, Mazieres J, Margery J, Greillier L, Audigier-Valette C, Moro-Sibilot D, et al. Lancet. 2016; 387 : 1405-1414.
10 Huber W. Reporting p Values Cell Systems 2019; 27 :170-71
11 Amrhein V, Greenland S, McShane B. Retire statistical significance Nature, 2019, 567: 305-307