La médecine personnalisée est une réalité débutante mais tangible en oncologie thoracique aujourd’hui. Comme pour toutes les innovations auparavant, après une phase de recherche, l’implémentation au quotidien impose une harmonisation et une standardisation.
La France, par le biais de l’INCa, a choisi une organisation unique, régionalisée, pour l’accès des malades au profil moléculaire de leurs tumeurs, en particuliers pour les cancers bronchique non à petites cellules non épidermoides (CBNPCne) de stade avancé. A contrario, de nombreux pays, dont les Etats-Unis, ont laissé leurs différentes institutions (publiques et privés) répondre à cette nouvelle demande.
Les auteurs de cet article recommandent et/ou proposent un certain nombre de mesures que nous avons voulu passer au filtre des résultats préliminaires de Biomarqueurs France, présentés ce printemps lors de l’ASCO 2013 (www.ifct.fr). Biomarqueurs France est une base de données incluant l’ensemble des analyses de biologie moléculaire des plateformes labélisées par l’INCa réalisées d’Avril 2012 à Avril 2013. Les résultats de ces analyses sont ensuite complétés par les données cliniques des malades correspondants par leur clinicien (http://www.e-cancer.fr/soins/les-traitements/lacces-aux-therapies-ciblees/base-de-donnees-clinico-biologiques).
A la lumière de ces résultats, sommes-nous en avance ou en retard par rapport aux propositions de ces auteurs ? Une tentative de réponse dans ces quelques lignes.
1/ Quels patients tester ?
Les auteurs recommandent le testing de tous les patients, quelles que soient leurs caractéristiques cliniques, présentant un adénocarcinome et ceux pour lesquels une composante adénocarcinomateuse ne peut être exclue du fait de l’exigüité des prélèvements, notamment en l’absence de tabagisme.
Cette recommandation rejoint parfaitement celle de l’INCa en France où seuls les patients présentant un CBNPC sont testés, avec une possibilité, quand elle est argumentée, de tester d’autres types de CBNPC comme en témoignent les 5.3% de CBNPC de type épidermoide testés dans le cadre de Biomarqueurs France.
2/ Quand faire le test ?
Les auteurs recommandent le testing EGFR et la recherche d’un réarrangement ALK chez tous les patients de stade IV ou en rechute.
Cette recommandation rejoint également celle de l’INCa en France, puisque 71.8% et 7.6% des malades inclus dans Biomarqueurs France présentaient un stade IV d’emblée ou une rechute d’un stade plus précoce, respectivement.
Les auteurs encouragent le testing chez les malades de stade I-III, après concertation entre le laboratoire et l’équipe oncologique.
Cet encouragement, s’il est licite sur un plan scientifique, a un coût qui n’a pas été inclus dans la dotation des plateformes labelisées par l’INCa. A ce titre, cet encouragement ne doit probablement pas être appliqué en France pour l’instant ; Pour autant, les résultats de Biomarqueurs France suggèrent bien, qu’après concertation multidisciplinaire, un certain nombre de malades bénéficient d’un testing moléculaire (14.6% des prélèvements inclus sur la 1ère analyse).
3/ Quel délai pour réaliser le test ?
Les auteurs proposent (consensus d’experts) un délai maximum de 2 semaines, à réception du tissu par le laboratoire de biologie, pour la réalisation du testing EGFR et ALK.
L’activité des plateformes telle que décrite dans Biomarqueurs France répond parfaitement à cet objectif puisque le délai médian, sur les plateformes, est de 11 jours. Ces chiffres doivent néanmoins être tempérés par le fait qu’il s’agit d’une médiane et qu’il s’agit, dans le cadre de cette 1ère analyse, du délai de rendu pour les mutations de l’EGFR (les données concernant ALK restent à préciser).
En cas de délai trop long, les auteurs proposent de déléguer le testing à un autre laboratoire ; cette question est des compétences de l’INCa et des responsables de plateformes.
Les auteurs proposent par ailleurs un délai de 1 ou 3 jours maximum, entre le laboratoire de pathologie et le laboratoire de biologie moléculaire, selon que celui-ci est situé dans ou en dehors de l’établissement, respectivement.
Cet objectif précis n’a pas été évalué dans le cadre de Biomarqueurs France ; néanmoins, le délai médian entre la procédure de prélèvement et le début du testing moléculaire est de 8 jours, ce qui reste compatible avec le délai d’envoi de 1 à 3 jours proposé, une fois le diagnostic établi.
4/ Quel rôle pour KRAS ?
Les auteurs ne recommandent pas le testing de KRAS comme seul déterminant pour l’utilisation des EGFR-TKI.
Les résultats de Biomarqueurs France montrent que KRAS est l’altération moléculaire la plus fréquente (27%), majoritairement chez les fumeurs (31.7%), mais elle est aussi présente chez les non fumeurs (9.6%). Pour ces malades, le traitement de 1ère ligne a reposé majoritairement sur une chimiothérapie standard (60.2%) mais il faudra attendre les analyses à venir pour connaitre l’impact précis de KRAS sur l’utilisation des EGFR-TKI, notamment en 2ème ligne.
5/ Quels tests en cas de résistance acquise aux EGFR-TKI ?
Si des tests doivent être menés (conditions ?), les auteurs recommandent que le testing à la recherche d’une mutation de l’EGFR T790M soit possible avec une sensibilité d’au moins 5% de cellules porteuses de l’anomalie.
Biomarqueurs France ne peut pas apporter de réponse formelle sur la réalité de l’application d’une telle recommandation. Les résultats rapportés à l’ASCO montrent seulement qu’une mutation de résistance est mise en évidence dans 0.8% des échantillons, ce qui correspond environ à 10% des échantillons avec une mutation activatrice de l’EGFR, conformément aux données de la littérature basées sur le séquençage direct.
6/ Faut-il tester d’autres marqueurs ?
Les auteurs recommandent de prioriser le testing de l’EGFR et suggèrent de prioriser en second lieu le testing de ALK.
Si ces deux anomalies moléculaires sont bien les seules à ce jour à disposer ensuite de traitements disposant d’une AMM, l’objectif de l’INCa, en proposant aux malades en France d’accéder au testing moléculaire de marqueurs émergents, était de permettre une participation des malades présentant une autre altération moléculaire qu’EGFR ou ALK de participer à des essais cliniques. Les résultats actuels de Biomarqueurs France ne permettent pas de dire avec certitude si cet objectif a été atteint. En effet, seuls 2.7% des malades ont reçu un traitement de 1ère ligne dans le cadre d’un essai. Néanmoins, dans la mesure où les essais ciblant ces biomarqueurs émergents sont majoritairement des essais de 2ème ou 3ème ligne, il faudra attendre la seconde analyse qui intègrera les traitements de 2ème ligne pour avoir un chiffre plus objectif.
7/ Tous les adénocarcinomes doivent-ils être testés simultanément pour EGFR et ALK ?
Les auteurs proposent (consensus d’experts) d’implémenter des algorithmes de testing dans les laboratoires.
Les résultats de Biomarqueurs France montrent que, sans être une situation fréquente, la présence simultanée de deux altérations moléculaires existe (79 échantillons sur 9911 testés). Ceci reflète probablement une hétérogénéité tumorale qui justifie peut être une analyse concomitante de l’ensemble des altérations génomiques d’intérêt (de plus, ce problème ne se posera pas dans les centres où des techniques de type NGS seront implémentées).
8/ les procédures qualités
Les auteurs proposent (consensus d’experts) une harmonisation des comptes-rendus d’analyse de biologie moléculaire et des processus de contrôle qualité.
Au-delà des actions déjà engagées par l’INCa et les plateformes, le projet Biomarqueurs France a indéniablement été l’occasion de standardiser ou en tous cas d’harmoniser les comptes-rendus d’analyse au niveau national afin de permettre leur implémentation dans la base de manière homogène.
Au total, l’analyse proposée ici à la lumière du travail déjà effectué dans le cadre de Biomarqueurs France confirme que la mise en place des plateformes en 2006 et tout le travail mené depuis, permettent aux malades français de bénéficier d’une organisation en accord avec le « standard » américain proposé ici.
Au-delà, Biomarqueurs France, effort collectif de chacun d’entre nous, sur les plateformes et en clinique quotidienne, fournit des informations précieuses sur les résultats de l’organisation mise en place par l’INCa. Ces premiers résultats incitent bien sûr à poursuivre nos efforts de collecte de l’ensemble des données issues de la prise en charge de ces malades afin de disposer d’informations au service de la communauté scientifique pour organiser la médecine personnalisée de demain.
Professeur Fabrice Barlesi, pour le comité de pilotage de Biomarqueurs France (étude financée par l’INCa et promue par l’IFCT).
Aix Marseille Université – Assistance Publique Hôpitaux de Marseille. Service d’Oncologie Multidisciplinaire et Innovations Thérapeutiques. Marseille. France.