Parmi les essais de chimiothérapie néoadjuvante menés dans le monde durant cette dernière décennie, un certain nombre ont été interrompus au moment où ont été rapportés les premiers essais positifs de chimiothérapie adjuvante parce que les investigateurs ont jugé qu’il n’était pas éthique de poursuivre une étude clinique dans la quelle le bras de référence était la chirurgie seule. L’essai de Giorgio Scagliotti appellé Chemotherapy for Early Stages Trial (CHEST), fait partie de ces essais. Ses résultats avaient été présentés oralement plusieurs fois mais de façon partielle et tous ceux qui s’intéressent à la chimiothérapie pré-opératoire en attendaient impatiemment les résultats définitifs.
Cet essai était dans la continuité de l’étude 08955 de l’EORTC qui avait montré un taux élevé dé réponse avec une chimiothérapie néo-adjuvante par cisplatine et gemcitabine atteignant 70%.
Dans cet essai prospectif de phase III ont été inclus des patients qui présentaient un cancer bronchique non à petites cellules de stade IB, II ou IIIA (T3N1) candidats à une résection à visée curative.
L’objectif principal de cet essai était la PFS : 384 évènements étaient nécessaires c’est à dire 712 patients. Ceux ci devaient dans le bras contrôle être simplement opérés et dans le bras expérimental ils recevaient 3 cycles pré-opératoires (J1=J22) de cisplatine (75mg/m2) et gemcitabine (1250 mg/m2 J1, J8). Un échantillonnage des ganglions médiastinaux était systématique.
Entre septembre 2000 et décembre 2004, 270 patients provenant de 45 centres européens dans 15 pays ont été inclus. En 2004, les premiers résultats des essais de chimiothérapie adjuvante ont conduit à stopper les inclusions. On était alors très loin des 712 malades prévus puisque 129 patients seulement avaient été randomisés dans le bras expérimental et 141 en chirurgie. Parmi les 129 patients du bras chimiothérapie-chirurgie, seulement 110 ont été opérés. Les causes de ce nombre élevé de 17 patients non opérés sont multiples : certaines légitimes, telles la décision du patient (n=3) ou la progression (n=4), d’autres moins telles la perte de vue (n=2), et des « autres causes » ou « manque d’informations » qui représentent un chiffre très élevé (n=10). Il doit d’ailleurs y avoir une erreur dans cette liste car le total est à 19 et non 17. Dans le bras chirurgie, 5 patients n’ont pas été opérés.
A l’exception du sexe (plus d’hommes dans le bras chirurgie, p=0,01) les facteurs pronostiques étaient bien répartis dans les 2 bras.
Les taux de réponse à la chimiothérapie calculés pour les 127/129 patients qui avaient reçu au moins un cycle de chimiothérapie étaient les suivants :
| RC | RP | NC | P | Inévaluables |
N (%) | 4 (3,1) | 40 (31,5) | 55 (43,3) | 7 (5,5) | 20 (15,7) |
La toxicité était acceptable avec respectivement 8% et 12% de SAE dans les bras contrôle et expérimental, 32% de toxicité hématologique de grade 3 ou4 avec 11% de granulopénies fébriles.
Les données concernant les traitements chirurgicaux sont résumées ci-dessous :
| Chimiothérapie+chirurgie | Chirurgie |
Nombre | 110 | 136 |
Lobectomies (%) | 79 (72) | 82 (61) |
Bilobectomies (%) | 10 (9) | 13 (10) |
Pneumonectomies (%) | 17 (16) | 35 (24) |
Autres (%) | 4 (4) | 6 (4) |
Résections complètes (%) | 97 (88) | 114 (84) |
Mortalité péri-opératoire (%) | 4 (3) | 5 (4) |
Alors que les malades ont été inclus de 2000 à 2004, le follow-up médian à la date de point en mai 2010 n’était que de 3,3 ans (0-8,5 ans) pour le bras expérimental et 2,6 ans (0-8,5 ans) pour le bras chirurgical, ce qui laisse à penser qu’il y a eu beaucoup de perdus de vue. La PFS médiane était de 4 ans dans le bras combiné et 2,9 dans le bras chirurgie. Le HR ajusté de la PFS était significativement en faveur de l’association chimiothérapie-chirurgie. Parmi les patients qui avaient un stade IB et IIA, les PFS médianes étaient respectivement de 4,9 vs 3,9 ans (p=0,83) mais elles différaient de façon significative pour les IIB et IIIA (4 vs 1,1 an, p = 0,002).
La médiane de survie était de 7,8 ans pour le bras chimiothérapie-chirurgie et 4,8 ans pour le bras chirurgie (p=0,04). La survie à 3 ans était de 67,9 vs 59,8%. Les résultats concernant la survie par stades était en rapport avec ceux de la PFS.
Les auteurs concluent que, malgré la clôture prématurée de cet essai, celui ci démontre l’efficacité de la chimiothérapie chez les patients de stade IIB et IIIA.
Ces conclusions, qui différent de celles de plusieurs autres essais, doivent être à notre sens acceptées avec certaines réserves :
- Comme le souligne l’éditorial de GM Strauss qui accompagne cet article, le fait qu’il y ait significativement davantage de femmes dans le bras expérimental est susceptible d’améliorer les résultats de ce bras (on sait que le sexe féminin est un facteur pronostique favorable). De même la différence du nombre de lobectomies à la faveur de ce même bras expérimental a pu jouer un rôle, mais la situation est ici différente car il s’agit probablement d’un effet du downstaging.
- Enfin et surtout le temps de suivi de 3,3 et 2,6 ans a été, nous semble-t-il très court pour des patients opérés : la date de l’analyse, probablement proche de la date de point, en 2010 est très éloignée du dernier patient inclus en 2004 ce qui explique les taux de censure atteignant plus de 60% pour la survie. Il est vraisemblable qu’il y a eu beaucoup de malades perdus de vue et que cela puisse amener à discuter au moins en partie ces résultats de cet essai.
Ainsi les grands essais randomisés de chimiothérapie néoadjuvante dans le cancer du poumon non à petites cellules sont maintenant clos et publiés. Ils ont pâti, pour certains d’entre eux, de la publication des essais de chimiothérapie adjuvante qui, en raison des arguments statistiques en faveur de la chimiothérapie, les ont obligés à interrompre prématurément les inclusions.
Ces essais de chimiothérapie néo-adjuvante sont, rappelons le :
L’essai du groupe coopérateur français
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11773176
L’essai américain du SWOG (9900)
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20231678
L’essai britannique LU22 http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17544497
L’essai espagnol NATCH http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20516435
Et finalement, l’essai italien CHEST analysé ci dessus.
Aucun de ces essais n’emporte à lui seul la conviction, mais leur ensemble, regroupé au sein de plusieurs méta-analyses, objective une augmentation de la survie en faveur du bras chimiothérapie première suivie de chirurgie, au moins équivalente à celle de la chimiothérapie adjuvante mais sur une population très différente et plus étendue.
Il semble, cependant, que la communauté penche plus en faveur de la chimiothérapie adjuvante comme le montre bien la conclusion de l’éditorial de G.M. Strauss : « les preuves en faveur de la résection chirurgicale suivie de chimiothérapie adjuvante semblent plus convaincantes que l’usage de la chimiothérapie d’induction dans les cancers non à petites cellules résécables ».
Pourtant un certain nombre d’arguments plaident en faveur de la chimiothérapie d’induction et méritent d’être pris en considération :
- la chimiothérapie d’induction est mieux tolérée et permet l’attribution de doses plus élevées de chimiothérapie. Environ 90 % des patients, candidats à une chimiothérapie d’induction, la reçoivent effectivement. La chimiothérapie adjuvante s’adresse à une population beaucoup plus restreinte, triée en fonction de l’état général post-opératoire, de l’absence de complication post-opératoire interdisant un traitement complémentaire. Dans cette population triée, la chimiothérapie n’est administrée que chez environ 75 % des patients.
- L’administration préopératoire permet de connaître l’efficacité de la chimiothérapie. L’obtention d’une réponse complète est un facteur pronostique majeur.
- L’activité sur les micrométastases devrait être plus importante en raison d’un gain allant de 30 à 60 jours dans les délais d’application du traitement systémique. Il a été montré, dans les cancers du colon et les cancers du sein, que l’augmentation du délai entre la date de la chirurgie et celle du début de la chimiothérapie était un facteur pronostique négatif, en particulier au-delà de 60 jours.
- Le downstaging, démontré dès les essais de phase II, est aussi assorti d’une diminution du volume tumoral. Eric Vallières faisait observer que, dans l’essai nord-américain INT 0139 de chimiothérapie plus radiothérapie concomitantes suivie de chirurgie dans les cancers du poumon non à petites cellules de stade IIIA (pN2), la chirurgie d’exérèse des patients en rémission complète histologique avait été une pneumonectomie chez 13 sur 29 patients soit dans 44,8 % des cas. Il suggère qu’une intervention moins mutilante eut vraisemblablement été possible sans par ailleurs définir quels pourraient être les critères per-opératoires de choix. Il est évident que la notion et l’importance de la régression ne sont vraiment connues qu’après l’exérèse. Ce concept très intéressant n’a pas, à ma connaissance, été exploré par une phase II correctement définie en particulier sur les critères de réduction d’exérèse.
- Dernier point, la chimiothérapie semble permettre d’élargir la notion de résécabilité, en rendant opérable des tumeurs qui avaient été initialement jugées non résécables. Néanmoins, il n’existe pas d’arguments clairs en faveur de cette hypothèse par rapport au traitement standard de ces cas, à savoir l’association chimiothérapie et radiothérapie concomitantes.
A côté du seul essai espagnol comparant les deux approches entre elles et à la seule chirurgie, très probablement négatif parce qu’il a inclus trop de stades précoces, (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20516435) on rêve encore d’un autre grand essai comparant ces deux approches. Malheureusement, il est un temps pour tout et passée l’heure de l’enthousiasme déclenché par l’apparition d’idées nouvelles, il est difficile de revenir en arrière. A titre d’exemple, sous l’égide de l’Université de Pittsburg, un essai comparant la chimiothérapie néo-adjuvante et la chimiothérapie adjuvante avait été débuté, après la publication des principaux essais adjuvants. La chimiothérapie consistait en 3 cycles de cisplatine et docétaxel. Il s’adressait aux stades IB, II et IIIA (N négatif). Il a été arrêté, deux ans après son ouverture, faute de recrutement.
Professeur Alain Depierre,
CHU de Besançon