L’altération de la fonction rénale chez les patients traités pour un cancer métastatique n’est pas rare et est souvent liée à plusieurs facteurs parmi lesquels la chimiothérapie a une place importante. Par ailleurs l’association cisplatine et pemetrexed, qui est l’une des chimiothérapies les plus utilisées pour le traitement des cancers bronchiques non à petites cellules non épidermoïdes, est néphrotoxique. De plus, le pemetrexed en maintenance est susceptible d’augmenter le risque de complications rénales. Ce risque d’altérations de la fonction rénale est cependant faible dans les études cliniques telles que l’étude PARAMOUNT par exemple qui a démontré un bénéfice significatif de la maintenance par pemetrexed sur la survie sans progression (cliquer ici) et sur la survie (cliquer ici).
Les auteurs hollandais de ce travail considèrent cependant que les patients inclus dans ces essais sont très sélectionnés et que ce risque rénal qui est observé en réalité est bien plus important. Pour le démontrer, ils ont réalisés une étude prospective de cohorte chez des patients traités par des doses recommandées de cisplatine ou carboplatine et de pemetrexed soit pour cancer du poumon soit pour un mésothéliome entre 2012 et 2014. Ils ont ensuite validé ces résultats entre 2014 et 2016 par une deuxième étude de cohorte.
Au total 190 patients ont été inclus dans ces cohortes,
- 149 dans la première cohorte de patients qui étaient observés dès la chimiothérapie d’induction dont 44 ont reçu au moins un cycle de maintenance
- et 41 dans la cohorte de validation qui ne comprenait que des malades ayant reçu un traitement de maintenance.
La fonction rénale était estimée à partir de la créatininémie qui était mesurée avant l’administration de la chimiothérapie et une semaine après durant l’induction et une et deux semaines après durant la maintenance. Le débit de filtration glomérulaire était estimé selon l’équation Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration (CKD-EPI) exprimée en ml/min/1,73m2 (cliquer ici pour un accès gratuit).
Une insuffisance rénale aigue (IRA) était définie :
- Soit par une diminution du débit de filtration glomérulaire estimé à une valeur <60 ml/min/1,73 m2 en 3 mois,
- Soit par une diminution de ce débit > 35%,
- Soit par une augmentation de la créatinine d’au moins 50% en moins de 3 mois.
Une insuffisance rénale chronique (IRC) était définie par une diminution du débit de filtration glomérulaire estimé à une valeur inférieure à 60 ml/min/1,73 m2 depuis plus de 3 mois
L’âge moyen des 105 patients qui n’ont reçu qu’un traitement d’induction était de 63,7 ans et celui des patients qui ont reçu un traitement de maintenance était de 62,8 et 62,9 ans dans les 2 cohortes. Le BMI moyen était normal. Le tabagisme cumulé était plus élevé chez les patients qui n’ont pas reçu de maintenance (36 PA) que chez ceux qui en ont reçu (34 PA). Seulement 80 % des patients qui n’ont pas reçu de maintenance présentaient un cancer métastatique alors que tous les patients qui en ont reçu avaient un cancer métastatique. Tous les traitements étaient administrés en première ligne. Le pourcentage des patients qui recevaient du cisplatine était plus faible chez ceux qui ne recevaient pas de maintenance (62 %) que chez ceux qui en recevaient (73 et 75%).
La fonction rénale initiale était comparable chez les patients qui n’ont pas ou ont reçu une maintenance. Il y avait enfin un taux élevé de comorbidités cardiovasculaires (40% environ) et de diabètes (9 à 16%).
Résultats pour la première cohorte
Lors du traitement d’induction le débit de filtration glomérulaire estimé a significativement davantage diminué chez les patients qui ont reçu du cisplatine que chez ceux qui ont reçu du carboplatine (-9,1 vs -2).
Lors du traitement de maintenance (nombre médian de 5 cycles), 13/44 patients (29,5%) ont développé une IRA (comme définie plus haut) et celle-ci était significativement plus importante chez les malades qui avaient, avant de débuter la maintenance, un débit de filtration glomérulaire estimé<90 ml/min.
La fonction rénale de ces patients diminuait souvent au-dessous du seuil recommandé d’administration du pemetrexed (<45 ml/min). Une diminution du débit de filtration glomérulaire estimé durant l’induction était associée à une augmentation du risque d’insuffisance rénale.
Huit des 13 patients chez lesquels une IRA a été observé durant le traitement de maintenance ont ensuite eu une IRC (comme définie plus haut).
Résultats pour la deuxième cohorte
Pour cette cohorte le nombre médian de cycles de maintenance était de 4. La moitié des patients ont développé une IRA dont la moitié a eu ensuite une IRC.
Les auteurs insistent en conclusion sur la fréquence élevée de ces insuffisances rénales dans cette population qu’ils estiment être plus proche de la « vraie vie » que celle des malades inclus dans les essais cliniques. Ils soulignent que ces insuffisances rénales risquent souvent de compromettre l’accès aux traitements ultérieurs.
Cet article fournit des données intéressantes et attire notre attention sur la sélection des patients qui sont candidats à un traitement de maintenance. Il est vrai que ces patients doivent avoir les critères d’inclusion identiques à ceux des études cliniques. Ils soulignent également qu’il faut prendre en compte la dégradation de la fonction rénale pendant le traitement d’induction qui est prédictive de dégradation pendant la maintenance. C’est un point important. Il est aussi important de rappeler que chez les patients candidats à la maintenance, la fonction rénale doit être étroitement surveillée et l’administration du pemetrexed doit être interrompue en cas de dégradation. Tous ces points doivent être pris en compte pour la discussion du rapport bénéfice/risque que nous devons avoir dans nos RCP. N’oublions pas pour cette discussion que la maintenance par pemetrexed fait passer la survie à un an de ces malades de 45 à 58% et à 2 ans de 21 à 32%, ce qui est loin d’être négligeable.
Retenons aussi que cet article n’envisage que la responsabilité de la maintenance dans la dégradation la fonction rénale, alors que beaucoup d’autres facteurs associés ne sont pas mentionnés, tels que par exemple :
- Les comorbidités : par exemple un pourcentage non négligeable de ces patients étaient diabétiques ou présentaient des comorbidités cardio-vasculaires.
- Les nombreux médicaments associés potentiellement néphrotoxiques et trop souvent négligés, tels que par exemple les anti-inflammatoires non stéroïdiens qui ne devraient jamais être associés au pemetrexed.
- Les injections répétées des produits de contraste iodés.
Reference
Renal impairment during pemetrexed maintenance in patients with advanced non-small-cell lung cancer: a cohort study.
Visser S, Huisbrink J, van 't Veer NE, van Toor JJ, van Boxem AJM, van Walree NC, Stricker BH, Aerts JGJV.
Eur Respir J. 2018 Aug 23. pii: 1800884. doi: 10.1183/13993003.00884-2018. [Epub ahead of print]