Journal of the American Medical Association

Une chimiothérapie adjuvante commencée avec retard est-elle utile ?

Mode d'évaluation :
1 point : les articles apportant des connaissances réellement nouvelles par rapport à la littérature;

2 points : les études contribuant, notamment pour les essais thérapeutiques, à l'apport d'un niveau de preuve A (méta-analyse ou essais randomisés de phase III portant sur un grand nombre de malades) ou B (essais randomisés à effectifs réduits (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2);

3 points : les études susceptibles de modifier les pratiques.
janvier 2017

Traitement péri-opératoire, Chirurgie

On dispose d’assez peu de données sur l’influence de la date de début de la chimiothérapie adjuvante sur la survie des malades atteints de cancers bronchiques non à petites cellules opérés et qui en ont l’indication,  mais les recommandations sont en général d’initier la chimiothérapie adjuvante entre les quatrième et huitième semaines qui suivent la chirurgie.  Il faut néanmoins reconnaître  que ces recommandations ne reposent pas sur des données précises propres au cancer broncho-pulmonaire et s’inspirent d’études menées dans le  cancer du colon et du sein qui ont démontré qu’un retard de chimiothérapie adjuvante est associé avec une moins bonne survie.

L’étude publiée ici a été effectuée à partir de la National Cancer Database, un registre dans lequel sont recensés à peu près 70% des cancers pris en charge aux USA. Les cas des patients opérés par lobectomie ou pneumonectomie d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade I, II ou III et ayant reçu  une polychimiothérapie adjuvante entre 2004 et 2012 ont été inclus. Une deuxième cohorte indépendante a été créée utilisant les mêmes critères de sélection, mais incluant des patients qui n’ont pas reçu de chimiothérapie adjuvante et ont été traitées par la seule chirurgie.

Quatre cohortes ont été ainsi constituées chez les 31 474 malades qui avaient les critères d’inclusion dans cette étude :

  • Une cohorte de patients traités précocement avant 39 jours (n=3359),
  • Une cohorte de référence dans laquelle les patients ont été traités entre 39 et 56 jours (n=5137),
  • Une cohorte dans laquelle les patients ont été traité plus tardivement après 56 jours (n= 3977)
  • Et enfin une cohorte dans laquelle les patients ont été traités pas la seule chirurgie (n=19001).

Avec un suivi médian de 46 mois, les survies à 5 ans non ajustées ne différaient pas significativement entre les 3 groupes de même que le risque de décès ajusté sur un modèle de Cox (tableau ci dessous). 

Survie non ajustée

Date de début du traitement adjuvant

Référence

Précoce

Tardive

p

Survie à 5 ans (%)

55

53

53

0,23

Survie ajustée

HR (95% CI)

1

1,009 (0,94-1,08)

1,037 (0,97-1,10)

0,27

Par ailleurs, une analyse de la survie comparée entre des paires de patients ayant eu une chirurgie exclusive et ayant eu une chimiothérapie adjuvante à différentes dates de début et ajustée par la méthode des scores de propension a été ensuite réalisée : quelque soit la date de début de la chimiothérapie, le bénéfice de la chimiothérapie persiste (tableau ci dessous) 

Risque de mortalité comparé à la chirurgie exclusive

HR (95%CI)

p

Chimiothérapie   adjuvante précoce

0,67 (0,62-0,72)

<0,001

Chimiothérapie   adjuvante de référence

0,64 (0,60-0,68)

<0,001

Chimiothérapie   adjuvante Tardive

0,66 (0,62-0,70)

<0,001

Cette importante étude apporte des résultats différents d’études conduites dans le cancer du colon ou du sein car celles-ci avaient démontré que le retard de la chimiothérapie adjuvante diminuait le bénéfice de la chimiothérapie.

Toutefois cette étude doit être interprétée avec prudence car elle a, nous semble-t-il, un certain nombre de limites :

1) Tout d’abord, il s’agit d’une étude rétrospective qui, à ce titre,  n’a pas le même niveau de preuve qu’une étude prospective randomisée.

2) Un certain nombre de données ne sont pas disponibles concernant notamment les causes du retard du traitement adjuvant et les modalités de la chimiothérapie adjuvante. Il est possible aussi que les modalités de la chimiothérapie et les doses reçues ne soient pas les mêmes.

3) Lorsqu’on regarde la figure 2A, on voit que, si le nombre de patients qui ont commencé leur chimiothérapie adjuvante après 56 jours est conséquent, l’essentiel des patients de ce groupe ont a été traités avec un délai à peine supérieur à 56 jours. C’est probablement différent de certaines études qui, pour d’autres cancers,  aboutissent à des conclusions opposées mais qui comportent davantage de patients traités à 3 mois ou plus. Par exemple dans une étude de la SEER database qui portait sur plus de 4000  malades de 65 ans ou plus atteints de cancer du colon, la chimiothérapie adjuvante avait débutée après 3 mois chez 415 (9%) malades (cliquer ici pour un accès gratuit) . Or ce n’est peut-être pas la même chose de commencer la chimiothérapie à 60 jours ou à 90 jours. Ainsi réunir ces patients dans le même groupe n’est probablement pas indifférent à ces résultats, surtout si une bonne partie des effectifs à commencé 1 ou 2 semaines après J56.  En faveur de cette hypothèse, on notera que, dans une autre étude portant aussi sur les cancers du colon, commencer la chimiothérapie à 9-10 semaines diminue la survie comparativement à un traitement commencé dans les 8 semaines avec un HR de 1,4 mais que ce dernier  passe à 1,7 entre 13 et 16 semaines (cliquer ici).

4) De ce fait, il nous semble qu’il faut retenir de cette étude non pas que la date de début de la chimiothérapie adjuvante est indifférente, elle doit idéalement commencer entre 4 à 8 semaines après l’intervention chaque fois que c’est possible, mais que, quand on est contraint de la retarder, par exemple après une embolie pulmonaire ou une infection, la chimiothérapie adjuvante  reste toujours probablement bénéfique. 

 

 

Reference

Association of Delayed Adjuvant Chemotherapy With Survival After Lung Cancer Surgery.

Salazar MC, Rosen JE, Wang Z, Arnold BN, Thomas DC, Herbst RS, Kim AW, Detterbeck FC, Blasberg JD, Boffa DJ.

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