Journal of Thoracic Oncology

Dépister le cancer du poumon chez les non-fumeurs ?

Mode d'évaluation :
1 point : les articles apportant des connaissances réellement nouvelles par rapport à la littérature;

2 points : les études contribuant, notamment pour les essais thérapeutiques, à l'apport d'un niveau de preuve A (méta-analyse ou essais randomisés de phase III portant sur un grand nombre de malades) ou B (essais randomisés à effectifs réduits (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2);

3 points : les études susceptibles de modifier les pratiques.
janvier 2019

Dépistage

La pratique du dépistage scanographique du cancer broncho-pulmonaire au Japon et en Corée est ancienne et concerne non seulement les fumeurs et anciens fumeurs, comme dans le reste du monde, mais aussi les non-fumeurs car les cancers du non-fumeur représentent dans ces pays une cause importante de mortalité par cancer. C’est par exemple la septième cause de mortalité par cancer en Corée.  

L’étude rétrospective monocentrique présentée ici a été conduite pour évaluer cette pratique dans un centre de Séoul qui a largement utilisé le dépistage par scanner faiblement dosé entre 2003 et 2016. 

Les seuls critères d’exclusion de cette étude étaient les antécédents de cancer broncho-pulmonaire et l’absence de données précises sur le tabac. Les participants étaient divisés en deux groupes :

-      Non-fumeurs s’ils avaient fumé moins de 100 cigarettes dans toute leur vie,

-      Et fumeurs ou anciens fumeurs pour tous les autres (ever smokers).  

Les scanners étaient considérés comme positifs lorsqu’ils objectivaient un nodule de plus de 3 mm. 

L'objectif principal de cette étude étaient de définir le taux de cancers dans les 2 groupes. Les objectifs secondaires étaient de préciser l’anatomopathologie et le stade des cancers découverts ainsi que la mortalité dans les deux groupes. 

Sur 30 225 personnes qui ont eu un dépistage par scanner faiblement dosé, 28 807 ont finalement été inclus dans l’analyse dont 12 176 (42,2% étaient non-fumeurs). La majorité des non-fumeurs étaient des femmes alors que ces dernières ne représentaient d’une faible proportion des fumeurs et non-fumeur (63,6 vs 4,5%). Ces personnes étaient nettement plus jeunes que dans les grandes études de dépistage disponibles : 45 % avaient entre 40 et 49 ans, 33,8 % entre 50 et 59 ans, 16,8 % entre 60 et 69 ans, et 4,4 % au-dessus de 70 ans. 

Des nodules pulmonaires ont été trouvés chez 10 % des participants non-fumeurs et 13,9 % des fumeurs.

Comme le montre le tableau ci-dessous, 55 cancers broncho-pulmonaires ont été diagnostiqués chez les non-fumeurs et 143 chez les fumeurs ou anciens fumeurs. Cette différence était globalement significative et ne le restait que chez les hommes. Il s’agissait, surtout chez les non-fumeurs, en grande majorité de cancers de stades précoces. 

 

 

Non-fumeur

Fumeurs et anciens fumeurs

p

N de participants

 

12176

16631

 

N (%) de cancer broncho-pulmonaires

Nb total

55 (0,45)

143 (0,86)

<0,001

Chez les hommes (%)

O,38

0;88

<0,001

Chez les femmes (%)

0,49

0,53

0,78

Stades (%)

O

7 (12,7)

17 (11,8)

 

1

44 (80)

74 (51,7)

 

2

2 (3,6)

12 (8,4)

 

3

0

15 (10,5)

 

4

2 (3,6)

25 (17,5)

 

Chirurgie en premier traitement (%)

53 (96,4)

109 (75,2)

 

Chez les non fumeurs, presque tous les cancers (94,6%) ont été diagnostiqués lors du premier scanner alors que c’était le cas de seulement 56,6% des cancers découverts chez les fumeurs et anciens fumeurs. Cette différence était significative et suggère que le dépistage des non-fumeurs doit découvrir davantage de cancers indolents. 

Pour l’instant la durée de suivi médiane des patients qui ont un cancer est courte puisqu’elle est seulement de 2,2 ans chez les non-fumeurs et de 3,2 ans chez les fumeurs. Néanmoins un taux de survie estimé a été calculé qui est de 96 % à 5 et 10 ans pour les cancers des non-fumeurs et de 67,4 % et 62,7 % à 5 et 10 ans chez les fumeurs et anciens fumeurs.

Cette étude démontre que,  même chez les non-fumeurs,  dans une population asiatique on décèle un nombre non négligeable de cancers du poumon asymptomatiques chez les non-fumeurs, et surtout chez les femme dont on sait qu’elles sont exposées à d’autres carcinogènes environnementaux que le tabac, telles que par exemple les vapeurs de cuisson. 

Les durées de survie des cancers ainsi dépistés sont extrêmement longues puisque 96 % des patients qui en sont atteints sont vivants à 10 ans. Les adversaires du dépistage objecteront qu’il existe probablement une proportion importante  de surdiagnostics dans cette étude. Ses partisans pourront dire que les données de la littérature inciteraient plutôt à penser que certains de ces cancers sont des cancers lentement évolutifs pour lesquels l’inutilité de la chirurgie n’est absolument pas prouvée. 

Ce débat est néanmoins actuellement totalement hors de notre champ de préoccupation puisqu’en France c’est encore la mise en place du dépistage du fumeur qui reste notre principale préoccupation si nous voulons rattraper  l’important retard que nous avons dans ce domaine. 

Pour savoir si le dépistage du cancer du poumon  doit être réalisé chez les non-fumeurs  ou des fumeurs qui n’ont pas les critères du NLST et du NELSON il nous faudra attendre encore longtemps : les résultats de l’étude JECS qui compare scanner et radiographie chez 35000 fumeurs ou anciens fumeurs de moins de 30 PA et chez des non-fumeurs (cliquer ici) nous parviendront au plus tôt en 2022  …  Et  de plus ces résultats, lorsqu’ils seront connus, s’appliqueront à une population japonaise dont l’épidémiologie est très différente de celle de l’Europe …

 

Reference

Role of low-dose computerized tomography in lung cancer screening among never-smokers.

Kang HR, Cho JY, Lee SH, Lee YJ, Park JS, Cho YJ, Yoon HI, Lee KW, Lee JH, Lee CT.

J Thorac Oncol. 2018 [Epub ahead of print]

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Thématiques : Épidémiologie, Prévention
Revue : British Journal of Cancer