Nous avons commenté sur ce site les résultats de plusieurs études comparant, chez des patients traités pour un cancer bronchique non à petites cellules avec mutation activatrice de l'EGFR, un inhibiteur de la tyrosine kinase de l’EGFR à une chimiothérapie en première ligne. Toutes ces études ont démontré un bénéfice de survie sans progression comme on pourra le revoir sur le tableau accompagnant nos commentaires des résultats définitifs de l’étude OPTIMAL en septembre 2015 (cliquer ici) mais aucune ne démontrait un bénéfice significatif de survie globale. Parmi ces études figurait l’étude japonaise de phase III WJTOG 3405 qui démontrait, un gain significatif de survie sans progression sous gefitinib comparé à cisplatine et docetaxel (9,2 vs 6,3 mois, p<0,0001). Ce sont les résultats tardifs de cette étude qui sont publiés ici.
Les patients éligibles à cette étude académique menée par le West Japan Oncology Group devaient avoir entre 18 et 75 ans, un PS à 0 ou 1 et un cancer bronchique non à petites cellules de stade IIIB ou IV ou être en récidive post-opératoire. Leur tumeur devait présenter une mutation usuelle (délétion de l’exon 19 (Del19) ou mutation L858R de l’exon 21). Ils étaient randomisés en deux bras :
- Gefitinib à 250 mg/j en continu (n=86).
- Ou cisplatine (80 mg/m2 à J1) et docetaxel (60 mg/m2 à J1) tous les 21 jours (n=86).
La survie sans progression était l’objectif principal et la survie globale l’un des objectifs secondaires.
La durée médiane de suivi des 172 patients était de 59,1 mois et 73,8% des patients sont décédés durant cette période, 79,1% dans le bras gefitinib et 68,6% dans le bras docetaxel. La durée médiane de survie du bras gefitinib était de 34,9 mois et de 37,3 mois dans le bras chimiothérapie. Le HR de décès était à 1,252 (85%CI : 0,88-1,77). Cette différence n’était pas significative.
Les facteurs suivants ont été étudiés dans un modèle de Cox : bras de traitement, âge, tabagisme, récidive post-opératoire ou stade IIIB/IV et types de mutations. Le seul facteur pronostic indépendant était entre le groupe des récidives post-chirurgicales et le groupe des stades IIIB/IV.
Cet absence d’impact sur la survie peut-il s’expliquer par les traitements reçus à la récidive ? On peut lire que :
- Parmi les 86 patients du bras gefitinib, 55 (64%) ont reçu ensuite un doublet à base de platine, 8 (9,3%) une mono-chimiothérapie et 4 un autre inhibiteur de la tyrosine kinase. Vingt trois (26,7%) patients n’ont pas reçu d’autre traitement.
- Parmi les 86 patients du bras chimiothérapie, 78 (90,7%) ont reçu un inhibiteur de la tyrosine kinase et seulement 8 n’ont pas reçu de traitement.
Ceci peut expliquer au moins en partie ces résultats si on admet qu’au moment où l’étude a été conduite le traitement devait comporter au moins un inhibiteur de la tyrosine kinase et au moins une chimiothérapie à base de platine : or dans le bras chimiothérapie plus de 90% des patients ont reçu ces deux traitements alors que dans le bras gefitinib ce sont seulement 64% des patients qui ont reçu ces 2 traitements. Pour conforter cette analyse, on notera que la durée médiane de survie des 141 patients traités par inhibiteur de la tyrosine kinase et chimiothérapie à base de platine était à 36,7 mois, alors que celles des 23 patients traités par inhibiteur de la tyrosine kinase seulement et des 8 traités par chimiothérapie seulement , les durées médianes de survie étaient respectivement de 31,2 et 13,6 mois. Mais ces différences qui concernent des petits effectifs ne sont pas significatives.
On retiendra donc que l’analyse tardive de cette étude menée de 2006 à 2009 n’a pas permis de démontrer, comme 6 autres études qui effectuaient la même comparaison, le bénéfice de survie significatif qu’on s’attendait à trouver sous inhibiteur de la tyrosine kinase de l’EGFR. Le cross over qui est très important dans cette étude, puisque plus de 90% des malades du bras chimiothérapie ont reçu un inhibiteur de la tyrosine kinase après leur chimiothérapie, explique parfaitement ces résultats.
Commenaire additionnel d'Elisabeth Quoix
Il nous parait important d’insister sur le fait que cette étude vient confirmer ce qui avait déjà été décrit dans l’étude OPTIMAL qui comparait l’erlotinib à l’association cisplatine + gemcitabine, à savoir que les survies les plus longues sont observées chez les patients ayant eu l’opportunité de recevoir les deux modalités thérapeutiques (doublet à base de sel de platine et ITK). Ainsi, il est important que les patients ayant un stade métastatique reçoivent les 2 modalités au long de leur évolution. Dans cette étude, il semble bien que de commencer par la chimiothérapie soit loin d’être délétère (et même au contraire avec une tendance forte en faveur de cette séquence). Il est importante de de souvenir de cela, dans la mesure où parfois l’obtention des résultats de la recherche de mutations peut être incompatible avec la mise en œuvre rapide du traitement. Ceci a été confirmée dans une étude japonaise de vraie vie. L'argument de qualité de vie tombe dès lors qu'il faut de toute façon administrer les deux modalités thérapeutiques. Bien sûr cette conclusion est sujette à des ajustements du fait notamment des essais en cours d'une association chimiothérapie-thérapie ciblée qui rendront, si les données de survie confirment le bénéfice observée en PFS avec l'association des deux traitements (cliquer ici), caduque cette discussion. Il sera bien sûr très utile d'étudier une telle association dans les suites de l'essai Flaura confirmant la supériorité de l'osimertinib sur les ITK de 1ère génération (cliquer ici). Bref, gardons-nous d'enterrer trop vite la chimiothérapie !
Reference
Final overall survival results of WJTOG3405, a randomized phase III trial comparing gefitinib versus cisplatin with docetaxel as the first-line treatment for patients with stage IIIB/IV or postoperative recurrent EGFR mutation-positive non-small-cell lung cancer.
Yoshioka H, Shimokawa M, Seto T, Morita S, Yatabe Y, Okamoto I, Tsurutani J, Satouchi M, Hirashima T, Atagi S, Shibata K, Saito H, Toyooka S, Yamamoto N, Nakagawa K, Mitsudomi T.
Ann Oncol 2019; 30 : 1978-1984.