Il est bien démontré que le dépistage scanographique du cancer broncho-pulmonaire réalisé chez des grands fumeurs ou anciens grands fumeurs de plus de 50-55 ans réduit significativement de 20 à 25% la mortalité spécifique de cette maladie. Mais peut-on mieux encore sélectionner cette maladie que ne l’ont fait les grandes études ? Cette question se pose depuis une dizaine d’années et plusieurs études rétrospectives ont été menées dans le but d’identifier des modèles de risque capables de mieux sélectionner les candidats au dépistage que ne le font les critères d’inclusion des grandes études NLST ou NELSON ou les recommandations inspirées par les critères d’inclusion du NLST telles que celles aux USA de l’US Preventive Services Task Force (USPSTF) et des « Centers for Medicaid and Medicare Services ».
Le modèle PLCOm2012 est le plus connu de ces modèles de risque (cliquer ici) et (ici). Il prend en compte 11 critères prédictifs : l’âge, l’origine ethnique, le niveau d’éducation, le BMI, les antécédents de bronchite chronique obstructive, les antécédents personnels de cancer les antécédents familiaux de cancer du poumon, le statut tabagique, l’intensité du tabagisme (nombre de cigarettes quotidiennement fumées), la durée de celui-ci et la durée d’interruption s’il s’agit d’anciens fumeurs. Ce modèle a été validé par plusieurs équipes aux USA, en Allemagne, en Australie, en Angleterre, au Canada, au Brésil et en Pologne notamment.
L’objectif de l’essai International Lung Screening Trial (ILST) dont les premiers résultats sont présentés ici est de comparer l’efficacité du modèle PLCO m2012 à celle des critères USPSTF 2013 en comparant le nombre de cancers broncho-pulmonaires dépistés par ces deux méthodes.
Pour être inclus dans cette étude prospective les participants devaient avoir de 55 à 80 ans, être fumeurs ou anciens fumeurs (au moins 30 PA et arrêt depuis 15 ans ou moins) et répondre aux critères USPSTF2013 ou à un seuil de risque PLCOm2012 d'au moins 1,51 % (défini par une étude antérieure) et être suivis durant les 6 ans suivant le premier dépistage. Les participants ont été inclus dans neuf sites, en Australie, au Canada, à Hong Kong, et en Angleterre.
Ces participants étaient recrutés par différentes méthodes (médias sociaux, médecins généralistes, journaux, télévision, mails envoyés à partir des listes électorales etc ). Lors de la première rencontre, ils répondaient aux questions concernant les points suivants : âge, statut tabagique , nombre moyen de cigarettes fumées par jour, durée du tabagisme, nombre d’années depuis l’arrêt du tabac chez les anciens fumeurs, taille, poids, origine ethnique, niveau d’éducation, antécédents de BPCO, antécédents personnels de cancer et antécédents familiaux de cancer du poumon. Les 5 premiers items servaient à déterminer l’éligibilité pour les critères USPSTF2013 et tous les items servaient à calculer le score de risque PLCOm2012. Après le scanner de base, les personnes avaient soit un suivi par TDM à 2 ans, soit des suivis à 3 et 12 mois pour des nodules suspects, soit adressés directement pour exploration en fonction du modèle de risque de malignité PanCan (cliquer ici pour un accès gratuit).
L'objectif principal de cette étude était de définir le nombre de cancers incidents à 6 ans avec les deux groupes de critères et d’estimer le nombre de vie gagnées.
Les résultats présentés ici sont ceux d’une analyse intermédiaire.
Résultats
De 2015 à 2029, 5819 participants ont été inclus soit parce qu’ils avaient les critères de l’ USPSTF 2013, soit parce qu’ils avaient un risque PLCOm2012 d'au moins 1,51 %. Pour avoir le même nombre d’individus dans les 2 groupes, les auteurs ont choisi de porter le seuil de 1,51% à 1,70%. Ceci leur permettait de comparer 2 groupes de 4540 personnes dont les caractéristiques n’étaient pas exactement les mêmes notamment en ce qui concerne l’âge, le niveau d’éducation, les antécédents de BPCO et de cancer ou la durée du tabagisme.
Après un suivi moyen de 2,3 ans, 135 cancers broncho-pulmonaires sont survenus chez les 4540 participants qui avaient les critères USPSTF2013- et 162 chez les 4540 participants qui avaient un risque PLCOm2012 d’au moins 1,70%. Parmi ces cancers broncho-pulmonaires, 126 étaient diagnostiqués chez les 3509 patients qui avaient à la fois les critères USPSTF 2013 et PLCOm2012. Ainsi 27 cancers de plus étaient détectés chez les personnes qui avaient un risque PLCOm2012 d’au moins 1,70% et la sensibilité du scanner était significativement supérieure chez les personnes détectées par les critères PLCOm2012 (85·3% (95%CI : 79,4–90,0)) à celle des patients qui avaient les critères USPSTF 2013 (71,1% (95% CI 64,0–77,4)).
Notons par ailleurs que dans une analyse effectuée selon le sexe c’est surtout chez les femmes que les critères PLCOm2012 étaient plus sensibles que ceux de USPSTF 2013. La distribution des histologies était similaire de mêmeque la proportion de cancers de stades I et II.
Enfin, bien que les personnes sélectionnées par le modèle PLCOm2012 avaient, comparativement à celles sélectionnées par les critères USPSTF 2013, un âge plus élevé, plus de comorbidité et donc une plus courte espérance de vie, l’espérance de vie cumulative des patients atteints de cancer dans le groupe sélectionné par le modèle PLCOm2012 était significativement plus élevée de 247,9 années, (p=0,015).
Alors que les études de modèles de risque dont nous disposons sont en général rétrospectives nous disposons avec cette étude pour la première fois d’une étude prospective et celle-ci nous indique que, mieux que de sélectionner les candidats au dépistage seulement par leur âge et leur tabagisme, il faut les sélectionner aussi par leur BMI, leur origine ethnique, leur niveau d’éducation, leurs antécédents de BPCO et de cancer. Cette étude prospective démontre ainsi, avec un niveau de preuve élevé, que le modèle PLCOm2012 permet de dépister davantage de cancers et ainsi de gagner davantage d’années de vie.
Reference
USPSTF2013 versus PLCOm2012 lung cancer screening eligibility criteria (International Lung Screening Trial): interim analysis of a prospective cohort study.
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Lancet Oncol 2021 Dec 10 Online ahead of print.